Traduction du Podcast du Carlat Psychiatry Report, disponible ici.
Les phrases en italique ont été rajoutées par moi et ne reflètent pas forcément les opinions des auteurs du podcast.
Parfois, une fenêtre d’opportunité s’ouvre pour faire une réelle différence.
Dans cette série, nous explorons les périodes où les interventions thérapeutiques offrent les bénéfices les plus importants.
KELLIE NEWSOME : La clozapine est le médicament le plus efficace dont nous disposons pour la schizophrénie. Mais son efficacité dépend du moment où on l’initie. Bienvenue dans le Carlat Psychiatry Podcast, garant de l’intégrité scientifique en psychiatrie depuis 2003.
CHRIS AIKEN : Je suis Chris Aiken, rédacteur en chef du Carlat Report.
KELLIE NEWSOME : Et je suis Kellie Newsome, infirmière praticienne en psychiatrie et lectrice assidue de chaque numéro.
Le mois dernier, nous étions à la conférence sur les traitements psychiatriques à action rapide à San Francisco, avec Owen Muir et Carlene MacMillan, les auteurs du blog Frontier Psychiatrist, souvent novateur et toujours passionnant. Cette conférence présentait des technologies innovantes pour détecter et traiter les troubles mentaux plus rapidement :
NightWare, une application approuvée par la FDA en 2020, utilise l’Apple Watch pour sortir les patients du sommeil s’ils ont des cauchemars.
TDScreen, une application qui détecte la dyskinésie tardive avec l’appareil photo du smartphone.
MDHub, un assistant basé sur l’IA qui rédige vos notes cliniques via un enregistrement conforme au HIPAA.
L’HIPAA (Health Insurance Portability and Accountability Act) est une loi fédérale qui impose un certain nombre de règles pour assurer la protection des données médicales, entre autres.
Et puis il y avait le Dr Aiken, sans produit à vendre, mais qui rappelait à tous une chose essentielle : en psychiatrie, le temps est crucial.
Je ne peux qu’être d’accord. Intervenez trop tôt, et vous risquez de psychiatriser quelqu’un qui n’en avait pas besoin. Intervenez trop tard, et c’est des vies qui seront perdues.
CHRIS AIKEN : Plusieurs auditeurs ont demandé un enregistrement de mon intervention, que nous n’avons pas. Mais j’en ai fait une série de podcasts. Aujourd’hui, vous allez découvrir pourquoi le moment auquel on prescrit la clozapine - une de nos molécules les plus efficaces - est déterminant.
KELLIE NEWSOME : Les experts peuvent diverger sur quel antipsychotique choisir en première intention dans la schizophrénie :
Certains optent pour la rispéridone ou l’amisulpride (hors États-Unis), deux molécules avec des tailles d’effets importants.
D'autres préfèrent la cariprazine pour ses effets potentiels sur les symptômes négatifs.
L’olanzapine est prisée pour son efficacité, bien que pénalisée par ses effets métaboliques.
Note: J’ai vu vendredi dernier une patiente qui avait pris plus de 40 kilos en un an avec l’olanzapine.
D’autres réservent l’olanzapine en seconde intention, privilégiant des alternatives plus « métaboliquement neutres » comme la lumatéperone ou le Cobenfy, une association de xanoméline et de trospium, sans blocage dopaminergique.
Note: Nous n’avons aucune de ces 3 molécules en France. C’est sans surprise que nos patients prennent un poids considérable.
Mais quelle que soit votre molécule de départ, tous les experts s’accordent sur une chose : en cas d’échec de deux antipsychotiques bien conduits, il faut passer à la clozapine. On entend par échec une absence de réponse à un essai adéquat à dose thérapeutique, sans différence significative sur les symptômes psychotiques positifs.
On ne s’attend pas à une rémission complète grace à un antipsychotique, mais les patients doivent au moins atteindre une amélioration fonctionnelle où ils arrivent à se maintenir en dehors de l’hopital, et où leur problématiques psychotique ne se répercutent plus sur leur entourage.
C’est l’esprit des recommandations de bonne pratique. Mais si vous voulez rentrer dans le détail, voici quelques précisions:
Un essai « adéquat » signifie qu’il a duré au moins 6 semaines à dose thérapeutique.
Une « dose thérapeutique » correspond à 400–600 mg équivalents de chlorpromazine (ex : 15–20 mg d’aripiprazole, 4–6 mg de rispéridone, 10–15 mg d’olanzapine, ou 400–600 mg d’amisulpride, pour lequel le dosage est équivalent à celui de la chlorpromazine).
Une « différence significative » : plus de 20 % de réduction des symptômes psychotiques.
CHRIS AIKEN : Les recommandations sont précises, parce que les recherches sont très claires. La clozapine est le seul antipsychotique dont l’efficacité a été démontrée dans la schizophrénie résistante. L’olanzapine à haute dose (25–50 mg/j) arrive juste derrière, avec des résultats comparables dans 3 petits essais randomisés sur 4.
La clozapine a des avantages supplémentaires que les autres molécules n’ont pas : prévention du suicide, réduction de la violence, et absence de risque de dyskinésie tardive. Elle est donc parfois recommandée en première intention chez les patients avec des problématiques auto et hétéro agressives.
KELLIE NEWSOME : C’est d’ailleurs l’histoire de la clozapine. Dans les années 1970, face à la recrudescence de dyskinésie tardive due à l’utilisation massive de neuroleptiques à haute affinité sur les récepteurs D2 chez les patients résistants. Nous parlons ici de dose d’halopéridol 10 à 20 fois supérieures à la normale.
L’intention était bonne, mais ça ne conduisait à rien de plus que des effets secondaires, telles que les dyskinésies tardives.
Les dyskinésies tardives sont souvent irréversibles. Les “nouveaux” antipsychotiques réduisent le risque environ de moitié, sauf chez les personnes âgées où le risque est probablement identique qu’avec les anciennes molécules.
C’est dans ce contexte que la clozapine a été lancée en Europe, comme alternative sans risque de dyskinésie tardive. La majorité des pays l’ont cependant retiré du marché après quelques années à cause d’un effet secondaire grave : 1 patient sur 100 développait une neutropénie sévère, potentiellement létale.
Le médicament ne fut jamais lancée aux États-Unis dans les années 70, mais la recherche américaine a continué, et en 1988, les données ont montré que la clozapine n’était pas intéressante que pour les dyskinésies tardives, elle aidait aussi les patients alors que tous les autres antipsychotiques avaient échoué.
Note: J’avais parlé de cette étude ici.
CHRIS AIKEN : Par contre, s’ils avaient demandé une autorisation pour traiter la dépression ou le trouble panique, cela aurait probablement été refusé. Mais la schizophrénie est une maladie beaucoup plus destructrice et potentiellement mortelle, ce qui a poussé la FDA à prendre un risque : elle a approuvé la clozapine en 1989, avec des restrictions strictes, notamment l’obligation de bilans sanguins hebdomadaires pour prévenir l’agranulocytose. En 2005, cette fréquence a été réduite, et le programme REMS actuel impose :
une surveillance hebdomadaire pendant les 6 premiers mois,
toutes les deux semaines pendant les 6 mois suivants,
puis mensuelle tant que le taux de neutrophiles (ANC) reste normal.
Cet été, un comité de la FDA a voté pour supprimer totalement ces exigences, ce qui pourrait signifier que la surveillance reviendra aux cliniciens, comme c’est le cas pour le lithium. Nous attendons encore la décision finale.
Note: en France, je me suis vu refuser des instaurations de clozapine car j’étais psychiatre libéral. Quand je vous dis qu’on a du retard, c’est pas pour rigoler.
Cette décision repose sur une autre « fenêtre temporelle » importante : vous vous souvenez que 1 patient sur 100 développe une neutropénie sévère sous clozapine ? Eh bien, presque tous ces cas surviennent dans les 4 à 5 premiers mois après l’initiation du traitement. Le risque d’agranulocytose atteint un pic entre le 2e et le 3e mois, et au-delà de deux ans de traitement, il devient quasiment nul.
Note: Ca ne veut pas dire que les patients n’auront pas d’agranulocytose. Mais s’il y a une agranulocytose 10 ans après la mise sous clozapine, il faudra chercher une autre cause.
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Question : Selon une étude de 2017, dans quel délai maximal après le début de la résistance au traitement faut-il initier la clozapine pour obtenir une réponse optimale ?
A. 1 an
B. 3 ans
C. 5 ans
D. 7 ans
Lorsqu’on initie la clozapine chez un patient atteint de schizophrénie résistante au traitement, on peut s’attendre à des taux de réponse comparables à ceux observés lors de la première prescription d’un antipsychotique chez un patient nouvellement diagnostiqué. De manière anecdotique, ces réponses semblent même plus marquées et s’étendre aux symptômes négatifs. Nous disons « anecdotique » car il est très difficile de prouver qu’un médicament a un effet direct sur les symptômes négatifs ; les symptômes positifs et négatifs sont souvent imbriqués et tendent à s’améliorer ensemble.
Cependant, une étude menée dans les années 1990 par l’Université de Pittsburgh a montré que la clozapine améliorait bel et bien les symptômes négatifs, en la testant chez des patients hospitalisés en institution publique qui présentaient principalement des symptômes négatifs, avec peu de symptômes positifs.
CHRIS AIKEN : Ce qui compte, c’est la manière dont on communique cela aux patients. Le démarrage de la clozapine peut susciter beaucoup de craintes : les prises de sang, le risque de mortalité — pas seulement à cause de la neutropénie, mais aussi de la cardiomyopathie et de l’iléus paralytique (forme grave de constipation), deux complications plus fréquentes avec la clozapine — sans oublier les crises d’épilepsie, les infections respiratoires, la sédation, la prise de poids…
C’est pourquoi je commence la discussion en disant aux patients que la clozapine est le seul médicament qui leur donne une réelle chance de retrouver une vie normale. Pour la plupart des personnes atteintes de schizophrénie, c’est cela le plus important : elles veulent avoir des amis, un emploi, terminer leurs études et jouer un rôle utile dans la société. Et avec la clozapine, c’est possible.
KELLIE NEWSOME : Et cela a d’autant plus de chances de se produire si le traitement est initié au bon moment. Nous avons recensé sept essais cliniques montrant que plus la clozapine est commencée tôt, meilleure est la réponse. Mais une étude, en particulier, nous a fourni des données précises sur cette « fenêtre temporelle » : elle est de trois ans.
CHRIS AIKEN : En 2017, Bunta Yoshimura et ses collègues au Japon ont publié une étude portant sur 105 patients atteints de schizophrénie résistante au traitement et traités par clozapine. En utilisant la même technologie que celle employée pendant la Seconde Guerre mondiale par les opérateurs radar pour identifier les cibles ennemies — la courbe ROC (Receiver Operator Curve) — ils ont déterminé la période optimale durant laquelle la clozapine offre le plus de bénéfices.
Ce moment se situe dans les 2,8 premières années suivant l’apparition de la résistance au traitement, que l’on peut arrondir à 3 ans. Si les patients commençaient la clozapine dans ce délai de 3 ans, le taux de réponse était de 82 %. Mais s’ils attendaient plus longtemps, ce taux chutait à 31 %.
KELLIE NEWSOME : Les recommandations officielles préconisent de commencer la clozapine immédiatement après avoir identifié une résistance au traitement. Mais bon — une marge de trois ans, ce n’est pas si mal. Et cela vaut la peine de partager cette statistique avec les patients.
Si votre patient hésite à débuter la clozapine et souhaite d’abord essayer d’autres options, dites-lui que c’est acceptable — il a un peu de temps, mais pas indéfiniment. L’idéal est de commencer dans un délai de trois ans.
Et nous ne suivons pas très bien ces recommandations, surtout aux États-Unis : 25 % des personnes atteintes de schizophrénie présentent une résistance au traitement, mais seulement 5 % reçoivent effectivement de la clozapine.
Note: Les statistiques françaises ne sont pas glorieuses non plus.
CHRIS AIKEN : Voici l’essentiel : lorsqu’un patient atteint de schizophrénie n’a pas de réponse significative après deux essais d’antipsychotiques, il y a peu de chances qu’un troisième traitement fonctionne mieux.
C’est à ce moment-là qu’il faut passer à la clozapine — et le faire rapidement, idéalement dans les trois ans suivant l’identification de la résistance au traitement.
Si vous agissez au bon moment, vous pouvez presque tripler les chances de succès de votre patient, plutôt que d’attendre trop longtemps.
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