Traduction du Podcast du Carlat Psychiatry Report, disponible ici.
Les phrases en italique ont été rajoutées par moi et ne reflètent pas forcément les opinions des auteurs du podcast.
Allen Frances nous montre comment adapter notre approche thérapeutique pour les problèmes qui sont simples, et pour ceux un peu plus complexes.
KELLIE NEWSOME: Beaucoup d'entre nous traitent des problèmes simples et limités qui peuvent bénéficier d'une psychothérapie brève, comme l'insomnie ou les phobies. Aujourd'hui, le Dr Allen Frances nous montre comment adapter notre approche pour les problèmes simples et ceux qui sont plus complexes. Bienvenue dans le Carlat Psychiatry Podcast, qui maintient la psychiatrie honnête depuis 2003.
CHRIS AIKEN: Je suis Chris Aiken, rédacteur en chef du Carlat Psychiatry Report.
KELLIE NEWSOME: Et je suis Kellie Newsome, infirmière psychiatrique (NP) et lectrice assidue de chaque numéro.
CHRIS AIKEN: Allen Frances porte de nombreuses casquettes, mais aucune ne capture vraiment qui il est en tant que psychiatre. Il a dirigé la quatrième édition du DSM, mais il est également un fervent critique des diagnostics par excès du manuel.
Nous sommes maintenant à la révision de la 5ème édition, sortie en 2022. Le DSM 4 est sorti en 1994.
Il est un psychiatre biologique spécialisé en psychothérapie, et psychanalyste de formation qui prône la thérapie cognitive et comportementale (TCC). Dans ma propre carrière, j'étais toujours à quelques pas derrière lui. J'ai commencé ma formation à Cornell, où Allen venait de partir pour devenir président à Duke (des universités américaines). Ensuite, je suis allé à Duke, où il venait de quitter son poste de président, et dans les deux institutions, il a laissé un héritage fort. Il était l'un des cliniciens les plus cités, même en son absence. Je l'ai finalement rattrapé lors de cette interview, mais je ne peux en aucun cas dire que j'ai cerné son esprit toujours en mouvement et créatif.
Merci de nous rejoindre, Allen. Beaucoup de gens vous connaissent probablement pour votre travail sur le DSM-IV, mais parlez-nous de votre travail en tant que psychothérapeute.
ALLEN FRANCES : À mon avis, la psychothérapie fait partie de chaque contact avec le patient. Je ne vois pas la psychothérapie comme quelque chose que vous faites uniquement pendant des séances de 45 minutes. Je vois la psychothérapie comme quelque chose que vous faites même si vous voyez quelqu'un pendant 15 minutes aux urgences, c'est de la psychothérapie.
J’irai plus loin, plus vous faites des séances courtes, plus vous avez besoin d’avoir des bases de thérapie. Sinon, vous balancez des médicaments les uns après les autres comme le ferait ChatGPT.
C'est donc toujours une grande partie de ma pratique clinique et de tout ce que j'ai fait cliniquement, mais j'ai aussi passé beaucoup de temps, d'énergie et d'intérêt à enseigner la psychothérapie, et également à essayer de développer des programmes qui aideraient à unifier la psychothérapie. Un programme dont les gens ne sortiraient pas en disant : « je suis un psychothérapeute psychodynamique », ou « je suis un thérapeute cognitif », ou « je suis un thérapeute comportemental ». Une thérapie enseignée d'une manière intégrée et globale.
CHRIS AIKEN: Comment votre approche de la psychothérapie a-t-elle évoluée au fil des ans ?
ALLEN FRANCES: J'ai commencé à une époque où la psychothérapie était l'élément central de la formation. Les médicaments étaient nouveaux – j'ai commencé mon internat en 1967. La formation que j'ai reçue était principalement psychodynamique, mais nous avions un excellent programme de formation en thérapie comportementale. Peu de temps après, j'ai découvert le travail de Tim Beck, et mon travail à Cornell dans les années 70 consistait à diriger le service ambulatoire.
Chaque interne faisait une thérapie brève selon chacun des modèles les plus populaires. Ils faisaient une thérapie principalement psychodynamique – et la plupart de leur supervision à long terme était psychodynamique – mais ils faisaient aussi une thérapie brève cognitive, une autre comportementale, une autre basée sur les systèmes familiaux et les injonctions paradoxales, etc... L'idée était de leur permettre de découvrir une culture relativement pure de chaque type de traitement. Ensuite, dans leur esprit et dans leur pratique, ils pouvaient les fusionner, afin qu'ils ne sortent pas du programme en s'identifiant uniquement comme orientés psychanalytiquement, TCC ou orientés sur les systèmes familiaux.
Je pense que tout clinicien compétent devrait disposer d'une boîte à outils comprenant des techniques issues des différentes écoles, appliquées en fonction des besoins du patient, et non des compétences du thérapeute. Si vous avez un marteau, tout ressemble à un clou, mais les patients n'arrivent pas en emballages soignés, et même un même patient peut, au cours d'une seule séance, nécessiter différentes approches de la part du thérapeute.
Si je ne prescris que du lithium, je risque de voir tout le monde bipolaire. Si je ne prescris que du méthylphénidate, je risque de voir tous les patients TDAH.
CHRIS AIKEN: Que savons-nous des facteurs de guérison communs à toutes les thérapies ?
ALLEN FRANCES: Oui, je trouve ça personnellement intéressant. Ma première expérience de psychothérapie en consultation externe a été un peu un désastre. J'avais un superviseur qui voulait que je prenne des notes – je devais noter chaque mot – et chaque fois que je disais quelque chose, c'était toujours faux, ce qui me rendait très rigide en tant que thérapeute.
Le traitement n'était utile ni pour le patient ni pour moi – c'était un fiasco. Heureusement, j'ai rapidement eu un autre superviseur qui se fichait complètement de ce que le patient disait ou de ce que je disais, mais qui s'intéressait à ce que je ressentais envers le patient et à ce que je pensais que le patient ressentait envers moi, s'intéressant à la relation avec ce dernier. Ce superviseur était de la troisième génération de Harry Stack Sullivan (son propre superviseur avait été supervisé par Harry Stack Sullivan). Cela m’a libéré, et ensuite, j’ai lu le meilleur livre - livre que tout le monde devrait lire sur la psychothérapie, écrit en 1961 par Jerome Frank, MD, intitulé Persuasion and Healing.
Frank a examiné la psychothérapie comme le ferait un anthropologue, et y a vu des éléments communs qui remontent aux débuts de la préhistoire humaine : le psychothérapeute est un chamane moderne, et le chamane était le premier psychothérapeute, peut-être le premier spécialiste de la société humaine. Et ce chamane, homme ou femme (souvent une femme), était quelqu’un qui avait souvent vécu des expériences émotionnelles intenses, des difficultés personnelles, et en avait été guéri, développant ainsi une compétence particulière en compréhension et en empathie pour les personnes souffrant de troubles mentaux ou de difficultés comportementales. Dans une petite tribu, il est très important que tout le monde se comporte bien et que tout le monde s'entende. C'est donc un rôle crucial pour s'assurer que les difficultés émotionnelles d'un individu ne perturbent pas le fonctionnement du groupe.
Il y a, à mon grand regret, plus de savoir utile en psychiatrie dans les anciens textes religieux que dans les livres de psychopharmacologie moderne.
KELLIE NEWSOME: Le livre de Jerome Frank est toujours disponible, et la nouvelle édition a été mise à jour par sa fille, la psychiatre Julia Frank, MD. Si vous ne l’avez pas lu, cela vaut vraiment la peine. Vous y apprendrez les facteurs communs de guérison en thérapie et comment les mettre en pratique dans votre travail, comme l’empathie, la chaleur, la sincérité, le développement d’une compréhension commune du problème qui inspire l’espoir et combat la démoralisation, ainsi que le maintien d’une considération positive envers le patient.
Lien vers le livre. C’est en anglais.
ALLEN FRANCES: Il a donc comparé la psychothérapie moderne au rôle du chamane : avoir vécu le problème, éprouver de l’empathie pour les personnes qui le vivent actuellement, avoir une connaissance particulière des causes des problèmes dans le monde des esprits – à l’époque, le modèle était une malédiction du monde des esprits – amener la personne dans un cercle magique, négocier avec les esprits et la personne pour identifier le problème, élaborer un plan de traitement, réaliser un rituel, et le patient allait mieux. Cela nécessitait une relation forte entre le chamane et la personne troublée. Les deux devaient croire au système dans lequel ils travaillaient. Ils devaient croire que le chamane avait des pouvoirs et une compréhension qui aideraient la personne. Ils devaient connaître les rituels, les accepter, et cela menait à la guérison. Ce lien un-à-un montrait comment cela s’applique encore aujourd’hui à un patient en psychothérapie.
C’était, encore une fois, un concept extrêmement libérateur parce que cela signifiait qu’il n’était pas si important de choisir les mots justes à chaque phrase que l’on prononçait. Ce qui comptait, c’était d’établir une alliance thérapeutique très forte. Si vous et le patient pouviez vous mettre d’accord, tous les deux, pour mettre votre cœur dans ce que vous faisiez, y croire, et bien travailler ensemble pour résoudre les problèmes, il était très probable que cela constituerait, pas forcément une condition suffisante, mais une condition nécessaire au changement. Cela recentre aussi votre réflexion sur ce qui se passe dans la relation. Lors de la première séance, vous vous demandez comment faire pour avoir une deuxième séance. Vous n’introduisez pas de théories ésotériques ni de jargon. Vous travaillez avec le patient à son niveau. Vous le suivez au lieu d’essayer de le guider, et vous essayez de faire ce qui, à chaque instant, renforcera au mieux la relation et lui donnera la meilleure chance de voir le monde d’une manière différente de ce qu’il a fait auparavant. Voulez-vous que je continue sur ce sujet ?
CHRIS AIKEN: Oui, continuez. Donc, la relation et une croyance commune dans le mode de guérison sont essentielles à tout travail thérapeutique.
ALLEN FRANCES: J’ai découvert un article de Rosenzweig écrit en 1936 qui était remarquablement visionnaire. Il a basé son concept sur l’oiseau dodo dans Alice au pays des merveilles : « Tous ont couru, tous ont gagné, et tous méritent des médailles. » Avant même l’émergence de la recherche en psychiatrie, il a prédit en 1936 que lorsque la recherche psychiatrique apparaîtrait, les différentes psychothérapies obtiendraient majoritairement de bons résultats. Que « tous auront couru, tous auront gagné, et tous mériteront des médailles », et qu’elles ne devraient pas être en compétition les unes avec les autres.
Son postulat était que les facteurs communs en psychothérapie, plutôt que les techniques spécifiques, seraient les plus puissants. En découvrant Rosenzweig, en lisant le livre de Frank, et grâce à plusieurs superviseurs qui m’ont encouragé à adopter une approche relationnelle pour comprendre ce qu’était la psychothérapie, cela m’a orienté dans cette direction.
CHRIS AIKEN: Quels sont les autres facteurs communs en thérapie et dans la guérison ?
ALLEN FRANCES: Tout d’abord, il est intéressant de noter que l’intuition de Rosenzweig a été largement confirmée au cours des 40 dernières années de psychothérapie. Mais nous ne devons pas supposer que seule la relation compte et que les facteurs techniques n’ont aucun rôle à jouer. En réalité, différents types de patients auront des besoins spécifiques différents. En effet, plus le problème est simple et circonscrit – comme une phobie simple – plus il est probable que la technique soit utile. Vous aurez besoin de la relation pour que la technique fonctionne, mais la technique elle-même sera importante, et je ne peux pas imaginer traiter quelqu’un avec des phobies sans utiliser des techniques cognitivo-comportementales.
Plus les problèmes sont profondément ancrés dans la personnalité de l’individu, plus les schémas comportementaux répétitifs qui peuvent être retracés tout au long de la vie de la personne, ainsi que les styles particuliers d’interaction avec les autres – qui peuvent se manifester dans les séances sous forme de transfert – seront importants. Dans ces cas, les techniques psychodynamiques deviennent essentielles. Je ne pense donc pas que nous devons conclure que des scores similaires signifient que les différentes techniques n’ont pas leur place. Mais ce classement repose sur l’idée qu’elles ne fonctionneront que s’il existe une alliance thérapeutique solide.
CHRIS AIKEN: Ce que vous dites ici me rappelle le PTSD. La plupart des thérapies basées sur l'exposition ont été testées sur des cas de PTSD liés à un traumatisme unique, mais les patients ayant vécu de multiples traumatismes interpersonnels (par exemple, le PTSD complexe) pourraient nécessiter une approche différente.
ALLEN FRANCES: Eh bien, il est toujours plus facile de faire des recherches sur des problèmes simples, et la difficulté réside dans la translation de ces résultats de recherche à la vie réelle, où les gens se présentent généralement avec des problèmes très complexes. C’est l’un des défis de toute la recherche, y compris la recherche en psychothérapie.
CHRIS AIKEN: Donc, selon vous, est-ce qu’un traumatisme unique, comme un accident de voiture, serait un bon candidat pour une psychothérapie ciblée et axée sur une technique spécifique ?
ALLEN FRANCES: C’est plus simple que si quelqu’un a vécu plusieurs traumatismes, et se présente également avec un trouble de l’usage de substances, prend neuf médicaments différents qui lui ont été prescrits, vient de perdre son emploi, et que sa femme demande le divorce. La vie réelle a tendance à être bien plus complexe. Les personnes qui participent aux études de recherche ne se présentent que rarement dans la vie réelle. Et les personnes qui se présentent dans la vie réelle pourraient rarement être incluses dans des études de recherche, car elles ont des problèmes complexes.
Exemple dans cette étude où plus de la moitié des patients mis sous méthylphénidate pour un TDAH (quand on regarde les dossiers médicaux) n’auraient pas été acceptées dans une étude pour évaluer l’effacité du médicament.
CHRIS AIKEN: D’accord. Je veux m’assurer de bien comprendre ce que vous considérez comme des problèmes simples ici. Je pense, par exemple, à un épisode unique de dépression ou à une phobie sociale sans comorbidités. Est-ce que ce seraient des problèmes simples ?
ALLEN FRANCES : Exactement. Si quelqu’un souffre d’une dépression transitoire, disons une première dépression, en réponse à un facteur de stress ou une déception bien définie, il sera bien plus facile de concevoir un manuel pour traiter ça que de concevoir un manuel pour traiter quelqu’un qui se présente avec des antécédents dépressifs lourds accompagnées de nombreux symptômes comorbides. Si d’autres troubles psychiatriques sont également présents, avec en plus un trouble lié à l’usage de substances, des effets secondaires médicamenteux, un problème médical comme un syndrome douloureux chronique ou un diabète, et qu’en parallèle, ils subissent toutes sortes de facteurs de stress de la vie, cela complique encore davantage le problème. Plus le problème est complexe et le contexte dans lequel il se trouve est riche en difficultés, moins il est probable qu’on puisse élaborer un manuel simple pour y faire face.
CHRIS AIKEN: Je pense qu’on peut aussi inclure l’insomnie primaire dans les problèmes simples. D’autres problèmes simples et limités vous viennent-ils à l’esprit, comme le trouble panique ?
ALLEN FRANCES: Le trouble panique est une merveille. Quand je travaillais dans les services d'urgence, où que je sois, les patients que j'aimais le plus voir au cours de ma carrière étaient ceux atteints de trouble panique. Car si on intervient suffisamment tôt, il suffit d'expliquer le mécanisme des symptômes physiques, comment ils sont liés à l'hyperventilation. Si on peut simplement les rassurer sur le fait qu'ils ne sont certainement pas en train de devenir fous, qu'on comprend très bien le trouble panique, très souvent, surtout dans les premiers stades, je garantissais qu'ils iraient mieux. Je disais : « J'ai vu des centaines et des centaines de personnes avec ce problème, et il y a plein de chose à faire pour s’assurer que vous irez mieux. » Rien que l'inversion de la démoralisation, la résolution d'une partie de l'incertitude et des peurs associées permettent de prévenir le développement ultérieur des comportements d'évitement et des symptômes d'agoraphobie, et cela contribue à les rassurer. Plus le problème est simple et détecté tôt, plus il est probable qu'on puisse y apporter une solution simple.
CHRIS AIKEN: C'est un domaine où je trouve le DSM utile sur le plan thérapeutique, car il précise que les attaques de panique ne constituent pas un diagnostic codable, elles sont normales. 70 % des gens ont déjà eu des attaques de panique. J'en ai eu moi-même, mais le trouble panique est complètement différent. C'est une phobie des attaques de panique, telle qu'elle est définie. Donc, lorsqu'un patient a une attaque de panique, nous pouvons réellement l’aider à empêcher qu'elle ne se transforme en un trouble complet, en trouble panique, et ainsi éviter qu'il développe un trouble psychiatrique.
ALLEN FRANCES: Le DSM a de nombreuses lacunes et crée de nombreux problèmes dans la vie, mais l'une des choses qui peut être très utile est son aspect psychoéducatif : donner un nom à un problème aide beaucoup de personnes à le rendre moins effrayant. Savoir que l'on n'est pas le seul maudit , ou la seule personne à vivre cela. C'est bien décrit et bien compris. Il existe des traitements très clairs que je peux suivre et qui feront une énorme différence. Encore une fois, c'est là que des techniques spécifiques ont leur valeur. Les techniques comportementales spécifiques, et les techniques cognitives, ont une énorme valeur dans le trouble panique. Je ne m'attarderais pas systématiquement sur l'enfance de chaque personne qui arrive avec une première attaque de panique.
CHRIS AIKEN: Encore un problème simple: qu'en est-il du trouble bipolaire classique, sans comorbidités, où la personne a une personnalité saine en dehors des épisodes ? Serait-ce un cas simple où l'on pourrait se concentrer sur des techniques de régulation du rythme circadien ?
ALLEN FRANCES: Oui, la gestion de la maladie dans le trouble bipolaire est essentielle. De nombreux facteurs influencent les résultats, certains étant inhérents à la génétique ou aux antécédents familiaux, et d'autres liés à la gravité et à la fréquence des épisodes. Mais une grande partie du succès dans le trouble bipolaire repose sur la compréhension du problème et sur la mise en œuvre des actions nécessaires pour bien le gérer. Les personnes qui comprennent l'importance du sommeil, de l'hygiène du sommeil, du fait de ne pas consommer de substances, de ne pas voyager constamment à travers le monde, de ne pas surstimuler le système nerveux avec des stresseurs constants ou des expériences changeantes, et de prendre leurs médicaments de manière régulière, ont tendance à avoir de bons résultats, sauf si leur charge génétique est écrasante.
A titre d’exemple, je ne bois jamais d’alcool, je ne fume pas, je me couche tôt - tous les jours, à la même heure ou presque, je ne manque pas un jour de médicament, le fais la luminothérapie en hiver, j’ai fait des centaines d’heures de thérapie.
Notez que je n’ai pas de mérite, je déteste l’odeur du tabac et l’alcool ne me fait rien. Comme on l’a déjà dit, l’addiction à l’alcool est peut-être un marqueur de gravité de la maladie. Il n’empêche que ce sont des facteurs modérateurs de la réponse qui sont majeurs.
Elles ont tendance à s'en sortir, et je pense que la psychothérapie est cruciale dans la gestion du trouble bipolaire. La psychothérapie est cruciale dans la gestion de la schizophrénie. Elle est cruciale dans la gestion du diabète. Elle est cruciale dans la gestion de toutes les conditions médicales. Et je pense que si nous voyons la psychothérapie uniquement comme quelque chose qui se fait une ou deux fois par semaine pendant 45 minutes dans une approche psychodynamique stéréotypée, nous manquons le fait qu'elle est inhérente à chaque contact qu'un médecin avec son patient.
Aperçu du quiz CME:
Selon le Dr Frances, lequel de ces problèmes est simple et répond bien à une intervention thérapeutique structurée ?
A. Trouble de la personnalité narcissique
B. Trouble cyclothymique
C. Trouble d’utilisation chronique de l’alcool
D. Insomnie primaire
ALLEN FRANCES: Une façon de voir les choses est que la majeure partie de la médecine, remontant jusqu'aux chamans, a été de la psychothérapie. Les traitements actifs en médecine ont été rares, et la plupart d'entre eux ont été plus nocifs qu'utiles. Les médecins ont tué plus de patients qu'ils n'en ont guéri avec leurs traitements biologiques au cours des 50 000 dernières années. Le principe d'Hippocrate « D'abord, ne pas nuire » a été introduit parce qu'il y avait une école concurrente dans la Grèce antique qui était très agressive dans le diagnostic et le traitement, et il a compris que le traitement était souvent plus dangereux que le problème sous-jacent. Beaucoup de patients guérissent d'eux-mêmes, et Hippocrate disait qu'il est plus important de connaître le patient qui a la maladie que la maladie que le patient a.
Hippocrate a plus précisément dit: quant aux maladies, essaie d’aider, ou à défaut, de ne pas nuire. Ce qui est un peu plus interventionnel - et que je rapproche à l’obligation de moyen qu’a chaque médecin.
Il conseillait aux médecins de développer des relations solides avec leurs patients et de ne pas se lancer dans des traitements biologiques lourds, dont la plupart étaient inutiles, voire très nocifs. La médecine moderne a eu tendance à ignorer cette sagesse et à s'impliquer de manière excessive, dans la médecine générale, avec des procédures techniques et des traitements médicaux agressifs, et en psychiatrie, avec la simple prescription de médicaments.
Un patient arrive avec un problème, on lui prescrit une ordonnance. Ce faisant, nous perdons le pouvoir de la relation, le taux de réponse placebo diminue considérablement pour tout traitement que nous administrons, et notre efficacité globale est fortement réduite. C'est pourquoi je m'implique autant dans la psychothérapie aujourd'hui : pour souligner son importance dans toutes les spécialités de la santé mentale.
CHRIS AIKEN: Quelle part de l'amélioration que nous observons lorsque nous donnons un antidépresseur pour une dépression peut être attribuée à l'effet placebo ? Pouvons-nous mettre un chiffre là-dessus ?
ALLEN FRANCES: Il y a une vision magnifique que Hippocrate a eu à ce sujet. Il disait qu'un tiers des patients guérissent d'eux-mêmes, un tiers des patients ne guériront pas, peu importe ce que nous faisons en tant que médecins, et un tiers des patients bénéficieront de notre traitement.
CHRIS AIKEN: C'est remarquable. Carl Jung, médecin, a dit la même chose dans son livre Memories, Dreams, and Reflections. Il a écrit que 30 % de ses patients guérissaient, 30 % s'amélioraient quelque peu, et 30 % ne changeaient pas.
ALLEN FRANCES: Hippocrate disait cela il y a 2 500 ans, et ce n'est pas vrai pour tous les types de patients. Mais si vous prenez le patient moyen dans une étude sur la dépression, c'est remarquablement précis. Environ un tiers ne répondent pas beaucoup, un tiers s'améliorent considérablement, et un tiers se situent entre les deux. Et il est probable que le taux de réponse placebo pour une dépression moyenne observée cliniquement soit d'environ 30 %. Pour une dépression très légère, le taux de réponse placebo est de 50 %. Pour une dépression ordinaire, 30 %. Pour des dépressions sévères, il est probablement inférieur à 10 %. Donc, la gravité est un facteur prédictif du taux de réponse placebo.
CHRIS AIKEN: Merci d'avoir parlé avec nous, Dr Frances.
KELLIE NEWSOME: Allen Frances a été président du comité du DSM-IV. Il est professeur et président émérite à Duke et rédacteur fondateur du Journal of Personality Disorders et du Journal of Psychiatric Practice. Parmi ses livres figurent Saving Normal, Essentials of Psychiatric Diagnosis et Twilight of American Sanity. Nous avons publié une version éditée de cette interview dans notre numéro d’octobre 2022 et diffusons maintenant l’enregistrement audio complet.
Les crédits CME ne sont pas reconnus en France.
Ce post est public.
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Merci aux éditeurs du Carlat pour leur confiance.
Je ne suis pas d’accord pour dire que le DSM a un aspect psychoéducatif. Il ne permet pas par exemple une compréhension de certains cas d’anxiété anticipatoire où l’attention est tournée vers des fonctions physiologiques volontaires ou involontaires (comme par le rougissement, l’endormissement, l’éjaculation, la déglutition, etc.) avec la crainte que ces fonctions ne se déroulent pas correctement. Il y a souvent un mécanisme d’ascenseur émotionnel entre la crainte et l'apaisement et un cercle vicieux qui se met en place, générant une amplification de la tension anxieuse, qui elle-même augmente la perturbation du processus moteur ou végétatif.
Il n’y a pas non plus d’aspect psychoéducatif du DSM pour les imbrications entre symptômes TDAH et SOC.
Je ne vois pas non plus d’aspect psychoéducatif pour ce qui définit sous l’étiquette « trouble schizophrénique », c’est au contraire une catastrophe au niveau psychéducatif de mélanger des formes cliniques très différentes avec des réponses au traitement différentes, des pronostics différents, bref des véritables maladies différentes regroupées dans un fourre-tout indifférencié. Sans compter que le DSM court-circuite complètement l’examen traditionnel de la psychomotricité.
Ne parlons pas non plus des formes de bipolarité d’allure unipolaire avec des caractéristiques particulières, notamment la labilité de la symptomatologie qui est souvent perceptible au sein même de l’entretien.
Un trésor humaniste à lire et à partager Grand Merci !