Précision en psychiatrie : diagnostiquer, traiter et différencier les principaux troubles psychiatriques
Carlat Podcast
Traduction du Podcast du Carlat Psychiatry Report, disponible ici.
Les phrases en italique ont été rajoutées par moi et ne reflètent pas forcément les opinions des auteurs du podcast.
MARK RUFFALO: Bienvenue à tous dans cet épisode du Carlat Psychotherapy Podcast. Je suis Mark Ruffalo, rédacteur en chef du Carlat Psychotherapy Report, et j’ai aujourd’hui un invité, le Dr Nassir Ghaemi, du Tufts Medical Center et de la Harvard Medical School.
Le Dr Ghaemi est directeur de la Psychopharmacology Consultation Clinic à Tufts, un expert renommé des troubles bipolaires et de la thérapie au lithium, et il a écrit abondamment sur la philosophie de la psychiatrie. Aujourd’hui, j’ai quelques questions à lui poser sur la psychothérapie, sur la hiérarchie diagnostique en psychiatrie, et encore bien d’autres sujets. Bienvenue sur le podcast, Dr Ghaemi ; c’est un plaisir de discuter avec vous aujourd’hui.
NASSIR GHAEMI: Merci, Mark. Je suis ravi d’être avec vous.
MARK RUFFALO: Alors, ma première question pour vous est la suivante : dans certains de vos écrits, vous avez affirmé que le consensus selon lequel la combinaison de la médication et de la psychothérapie est meilleure que l’une ou l’autre seule est faux et qu’il ne devrait pas être accepté de manière générale. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous soutenez ce point de vue ?
NASSIR GHAEMI: Eh bien, je ne dis pas que c’est intrinsèquement faux ; je dis que ce n’est pas intrinsèquement vrai. L’idée selon laquelle c’est évidemment vrai est soit non prouvée, soit démontrablement fausse. Cela dit, il est possible que, dans certains cas, la combinaison soit utile, et c’est quelque chose qui doit être prouvé et qui a été démontré dans certains cas. Cela dépend du trouble que vous traitez.
Prenons un exemple simple, comme la manie aiguë. Il n’y a aucune recherche qui montre que l’ajout de psychothérapie aux antipsychotiques pour traiter la manie aiguë est plus efficace que les antipsychotiques seuls, et cet exemple suffit à réfuter la thèse générale.
Même pour la dépression aiguë, cela dépend du type de dépression dont vous parlez. Dans la dépression bipolaire aiguë, les antidépresseurs ne fonctionnent pas du tout, donc ajouter de la psychothérapie aux antidépresseurs ne rend pas le traitement meilleur ; aucun des deux n’a été prouvé efficace. Pour la dépression unipolaire aiguë, un domaine où l’on discute souvent de cette question, il existe des preuves que la combinaison peut être plus efficace que les antidépresseurs seuls dans certaines études, mais pas dans d’autres. Si vous examinez ces recherches en profondeur, mon opinion est que cette incertitude est sous évaluée. La plupart des gens ne font pas ce résumé, mais je pense que c’est une interprétation correcte.
Lorsque vous examinez des épisodes dépressifs très graves, la combinaison de la TCC (thérapie cognitivo-comportementale) et des antidépresseurs s’est avérée plus efficace que les antidépresseurs seuls. Mais pour des épisodes dépressifs légers, il n’a pas été prouvé que cette combinaison soit plus efficace. Fait intéressant, dans les épisodes dépressifs légers, la TCC est aussi efficace que les antidépresseurs. Donc, ce n’est pas que vous devez utiliser les deux ; vous pouvez choisir l’un ou l’autre, mais les combiner n’apporte rien de plus. En revanche, dans les cas de dépression sévère, les antidépresseurs sont plus efficaces que la TCC seule, mais lorsqu’ils sont combinés avec la TCC, ils peuvent être plus efficaces.
Donc, tout dépend de ce dont vous parlez : quel est le syndrome que vous traitez, que montrent les recherches ? Voilà mon point de vue. Ce n’est pas une règle générale où "plus il y en a mieux c’est". On pourrait en discuter davantage si vous le souhaitez, mais cela reflète en réalité une croyance philosophique plus profonde partagée par de nombreuses personnes en psychiatrie : le modèle biosocial, et l’idée que "plus il y en a mieux c’est". De manière éclectique, on combine et ajoute des interventions sur la base de ce genre de théorie, mais cette théorie elle-même est discutable. Comme je l’ai dit, je pense qu’il vaut mieux fonder ces jugements sur des recherches et des preuves réelles plutôt que sur des systèmes de croyance.
MARK RUFFALO: Oui, donc il s’agit de se concentrer sur la maladie ou le trouble en question et sur les recherches spécifiques au problème identifié, plutôt que de faire une affirmation générale ?
NASSIR GHAEMI : Exactement, parce que si parfois les gens peuvent être traités avec un seul traitement, pourquoi leur en donner deux ? Vous savez, peut-être qu’ils n’ont même pas besoin de médication ; peut-être que la psychothérapie seule suffirait. Donc, il n’y a aucune raison de combiner les traitements de façon systématique, que ce soit pour des raisons de coûts ou pour éviter les effets secondaires et autres problèmes.
Il y a bien sûr des problèmes évidents à rajouter des psychotropes quand de la thérapie suffirait.
Mais il existe aussi un coût sociétal de partir du principe que la thérapie doit être proposée de façon systématique lors de chaque prise en charge, pour tout le monde, quel que soit le trouble.
MARK RUFFALO: Cela m’amène justement à ma deuxième question : vous avez mentionné l’éclectisme, et j’ai récemment relu votre ouvrage Concepts of Psychiatry – que je recommande à tous nos auditeurs. Vous avez critiqué l’éclectisme en psychiatrie et affirmé qu’il peut mener, dans certains cas, à une pratique indisciplinée et non scientifique.
Pouvez-vous nous donner vos réflexions générales sur ce sujet et expliquer ce que cela signifie, notamment pour la psychothérapie, en tant que traitement et en tant que discipline ?
NASSIR GHAEMI : Je pense que cela mène à l’anarchie, et je crois que la psychiatrie en est là aujourd’hui. Nous vivons dans une anarchie : il n’y a pas de dirigeant, pas de directives, pas de lois ; tout le monde fait ce qu’il veut. Certains défendront cela en disant : « Eh bien, c’est formidable. Les cliniciens sont libres de traiter comme ils veulent. » Cela peut être formidable pour le clinicien qui suit son propre système de croyances et veut être payé pour rembourser son emprunt, mais ce n’est pas formidable pour le patient, qui peut être traité par différentes personnes de façons très différentes sans aucune logique ni raison.
C’est pourquoi, dans un récent sondage Gallup, une sélection aléatoire d’Américains a donné une note D ou F aux professionnels de la santé mentale dans 60 % des cas. Seulement 1 % nous a attribué un A. 90 % nous ont donné un C ou moins – les groupes les plus nombreux étant D et F. Donc, nous pouvons aimer ce système, mais nos patients ne l’aiment pas, et au final, c’est ce qui compte le plus.
MARK RUFFALO: Ce que je vois souvent dans le domaine de la psychothérapie, c’est que l’éclectisme devient une justification pour essayer tout et n’importe quoi sur le patient et voir si ça fonctionne. C’est une position très peu rigoureuse, qui n’est pas soutenue par la littérature scientifique, qui examine au contraire des traitements spécifiques pour des problèmes spécifiques.
NASSIR GHAEMI : Exactement. Tout le concept d’éclectisme est non scientifique ou anti-scientifique, donc ce n’est pas quelque chose que vous chercheriez à étayer par la recherche ; c’est une théorie, une idéologie. Et cela découle vraiment (si je peux le résumer brièvement) d’un contexte plus large dans notre culture moderne des 40-50 dernières années, marqué par un système de croyances postmodernistes qui relativise la vérité. Les gens ne croient plus à l’existence d’une vérité absolue, que ce soit en science, en religion ou autre, et donc rien n’est interdit, tout peut être fait.
MARK RUFFALO: En effet, et je pense que ce type d’approche du « tout est permis » nous a causé du tort en psychothérapie.
NASSIR GHAEMI: Oui. Je pense que, du point de vue de la psychothérapie, ce qui est intéressant, c’est que ce relativisme postmoderniste et cet éclectisme ont permis à la psychothérapie d’exister: tout le monde peut faire n’importe quoi, donc on peut faire de la psychothérapie. Mais cela ne la justifie pas. Lorsque les choses se compliquent et que les gens demandent : « Pourquoi faites-vous de la psychothérapie ? » ou « Pourquoi faites-vous cette psychothérapie ? », avec ce genre de raisonnement, vous n’avez souvent pas d’explication à donner, à part : « J’aime ça » ou « Dans mon expérience, ça fonctionne. » Et vous ne pouvez pas obtenir que les compagnies d’assurance paient pour cela, ni que le gouvernement le subventionne.
Il est important, au-delà de la réalité inhérente qu’il est bon de connaître ce qui est correct, de pouvoir justifier ce que vous faites. Et c’est quelque chose que nous ne faisons pas vraiment.
Je pense que c’est le moment de rappeler que l’assurance maladie rembourse des séances de thérapies à la hauteur de 50€ par séance. Le seul critère pour être inclus dans ce dispositif est d’avoir demander à l’intégrer à l’assurance maladie.
Vu que le dispositif n’est pas un succès, l’assurance maladie n’hésite pas à démarcher des psychologues pour en faire la publicité.
MARK RUFFALO: Une grande partie de votre travail et de votre carrière, si je comprends bien, a porté sur les troubles bipolaires, les troubles maniaco-dépressifs ; en tant qu’expert des troubles de l’humeur, pouvez-vous nous parler un peu du rôle, le cas échéant, que joue la psychothérapie dans la gestion de la maladie bipolaire ?
NASSIR GHAEMI: Dans le cas de la maladie bipolaire, comme dans celui de la schizophrénie, ce sont toutes les deux des conditions en psychiatrie qui sont véritablement des maladies, presque entièrement génétiques dans leur étiologie, et elles ne se produisent que si vous avez les gènes. Leur cause est complètement biologique. Ce sont des maladies médicales comme n’importe quelle autre maladie médicale. On pourrait penser que, par conséquent, les interventions médicales ou biologiques seraient les plus pertinentes, et elles le sont. Mais, néanmoins, il existe un rôle pour les interventions psychologiques dans les deux cas – schizophrénie et maladie bipolaire.
Il a été démontré que certains types de psychothérapie ajoutés aux médicaments adéquats améliorent un peu l’évolution de la maladie. Dans le cas de la maladie bipolaire, spécifiquement, la thérapie centrée sur la famille, développée par David Miklowitz, PhD, et ses collègues, qui réduit l’expression émotionnelle, semble diminuer les stresseurs liés aux événements de vie qui déclenchent les épisodes d’humeur. La thérapie cognitivo-comportementale peut probablement avoir le même effet. La thérapie interpersonnelle a également été étudiée. Donc, il existe diverses thérapies qui peuvent réduire la probabilité que des événements de vie provoquent des épisodes d’humeur, essentiellement en améliorant la manière dont le patient vit ces événements. C’est probablement le rôle principal de la psychothérapie dans le cas de la maladie bipolaire. Ce n’est pas un traitement de la maladie elle-même. Ce n’est pas réellement un traitement d’un épisode ; c’est davantage une intervention sur le cours de la maladie, pour réduire la gravité des épisodes en lien avec les événements de vie.
C’est l’équivalent de faire des vaccins chez quelqu’un qui a un déficit immunitaire. Vous n’améliorez pas le déficit en lui-même. Vous diminuez un des facteurs qui peuvent venir décompenser l’état de base. Mais vous ne diminuez pas tous les facteurs, vous êtes toujours plus sujet aux cancers, etc...
La thérapie comportementale et dialectique est pour ma part la thérapie qui remplit ce rôle. L’avantage est qu’elle peut s’apprendre seule - c’est en tout cas ce que j’ai fait.
MARK RUFFALO: Oui, et vous avez mentionné que vous classez dans la catégorie des maladies psychiatriques la schizophrénie et la maladie bipolaire. J’ai lu certains de vos travaux, notamment sur la distinction de Kraepelin entre maladie psychiatrique et tableau clinique ou entité clinique. Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il existe probablement un ensemble central de diagnostics du DSM qui reflètent des entités biologiques pathologiques.
Pour le reste des diagnostics inclus dans le DSM – à mon avis la majorité des constructions diagnostiques que nous utilisons – ils correspondent davantage à ce que Kraepelin qualifierait de tableau clinique ou d’entité clinique. A savoir que l’étiologie de ces problèmes est largement psychosociale, et non intrinsèquement biologique comme ces états pathologiques.
Ajouteriez-vous aujourd’hui quelque chose dans cette dernière catégorie, en dehors de la schizophrénie et de la maladie bipolaire ? Comme la mélancholie ou le trouble obsessionnel compulsif (TOC) ?
NASSIR GHAEMI: Oui. J’insiste sur le concept de maladie même lorsqu’on parle de psychothérapie, parce que je veux m’éloigner de l’éclectisme qui permet à chacun de croire ce qu’il veut. Je pense qu’il est important pour notre discipline d’admettre qu’il existe des maladies de l’esprit qui s’expriment par des symptômes psychiatriques, mais aussi d’admettre qu’il y en a qui n’en sont pas. Il n’est pas vraiment légitime de dire que rien n’est une maladie ou que tout est une maladie ; nous devrions être capables de déterminer ce qui en est une et ce qui n’en est pas.
Comme vous le soulignez, et comme je l’ai argumenté, même si nous acceptons le concept de maladie, en examinant les différentes présentations cliniques en psychiatrie, probablement 90% d’entre elles ne sont pas des maladies. Donc parmi les maladies, il n’y a un petit groupe, mais ce groupe est vraiment important. La schizophrénie touche 1 % de la population, et la maladie bipolaire 2 %, donc environ 3 % de la population générale souffre de ces maladies. C’est un nombre important de personnes, et il est crucial de bien les diagnostiquer et de les traiter correctement.
Je dirais que le DSM n’a pas bien identifié ces maladies, ou pas du tout. Peut-être pour la schizophrénie, mais lorsque je dis que la maladie bipolaire est une maladie, je ne parle pas de la définition du DSM de la bipolarité comme étant une définition valide de cette maladie. Mon point de vue est que la maladie maniaco-dépressive est la véritable maladie, pas la maladie bipolaire. La maladie maniaco-dépressive inclut ce que le DSM appelle la maladie bipolaire, mais aussi au moins la moitié de ce que le DSM appelle trouble dépressif majeur, ce qui inclurait, comme vous l’avez mentionné, les dépressions mélancoliques, mais aussi les dépressions mixtes, qui ne sont pas définies dans le DSM.
C’est pour ça que j’ai les yeux qui explosent dans leur orbites quand je vois les gens se servir du DSM pour diagnostiquer, décrire, ou vulgariser le trouble bipolaire. Le DSM ne fait pas mieux avec la schizophrénie à mon avis.
Donc, je dirais que les deux grandes maladies sont la schizophrénie et la maladie maniaco-dépressive – pas la schizophrénie et la bipolarité. Et les maniaco-dépressifs incluent les personnes autrefois appelées dépressions unipolaires récurrentes et bipolaires ; cela constitue un seul groupe.
Au-delà de cela, je pense qu’il existe d’autres entités pathologiques, comme le TOC correctement défini – pas le TOC comme un symptôme lorsqu’une personne est maniaque, déprimée ou psychotique, ce qui est une erreur courante. Selon ma lecture de la littérature, seulement environ 20 % des personnes diagnostiquées avec un TOC souffrent réellement d’un TOC primaire ; les autres ont un TOC secondaire à des troubles de l’humeur ou à d’autres conditions. Donc, le TOC primaire, surtout lorsqu’il commence dans l’enfance, qu’il est chronique, non lié aux troubles de l’humeur ou à la psychose ; c’est une maladie.
C’est un exemple de la hiérarchisation des diagnostics, les personnes qui n’ont un TOC que lors d’épisodes dépressifs sont à considérer comme ayant un TOC secondaire, à l’opposée des TOC primaires.
L’autisme aussi, bien que les gens aiment maintenant le diagnostiquer comme un spectre dans les cas les plus légers, est certainement, dans les cas classiques et sévères, une maladie purement génétique. Il y en a probablement deux ou trois autres. Je dirais donc qu’on peut en compter une demi-douzaine.
Si vous examinez les anciens critères diagnostiques de recherche des années 1970 – la seule époque en psychiatrie moderne où nous avons essayé de lister des diagnostics en fonction de leur validité et non de leur fiabilité (ce qui est le cas du DSM) – le DSM est un dictionnaire : tout le monde est d’accord pour appeler ces choses des « tableaux cliniques ». Dans la tradition allemande, comme vous l’avez dit, on définissait des groupes cliniques en fonction de ce qu’on observait chez les patients. C’est bien, mais le fait qu’on observe ces tableaux cliniques ne signifie pas qu’ils sont des maladies ; c’est quelque chose que la science et la recherche doivent démontrer. Cela ne signifie même pas qu’ils ont une cause psychologique ; ils pourraient être causés spirituellement, qui sait ?
Donc, oui, nous avons au total 200 tableaux cliniques ; c’est le DSM. Il pourrait y en avoir plus. Mais les critères diagnostiques de recherche disaient : « Ne listons pas les tableaux cliniques que nous voyons, mais ceux dont nous savons qu’ils sont valides. » Cela signifie qu’il y a des données basées sur la génétique et l’évolution de la maladie qui montrent que ces symptômes sont vraiment différents des autres conditions. Et ils n’ont identifié qu’une douzaine de diagnostics.
En termes de diagnostics valides, nous pourrions en avoir une douzaine. En termes de diagnostics valides qui sont des maladies, nous pourrions en avoir une demi-douzaine. Et ensuite, nous avons environ 200 tableaux cliniques, dont nous ne savons pas vraiment ce qu’ils sont.
MARK RUFFALO: Dans cette optique, est-ce que vous tenez un discours plus large pour que la psychiatrie, en tant que discipline, revienne à l’étude et au traitement de ces maladies fondamentales, et que cela devienne le principal objectif de la psychiatrie en tant que spécialité médicale ?
Je suis d’accord, et c’est pour ça que la “psychiatrie de précision” dont on entend parler depuis une décade ne donne pas grand chose - sachant qu’on entendait déjà parler de la médecine de précision à l’âge d’Hippocrate.
NASSIR GHAEMI: Notre groupe a proposé par écrit que nous devrions revenir aux critères diagnostiques cliniques de recherche comme base pour les diagnostics futurs, en remplacement du DSM. Abandonnons le DSM, arrêtons de nous concentrer sur la fiabilité, et changeons l’accent vers la validité. Ainsi, nous aurions peut-être une douzaine de diagnostics que nous poserions. Le reste ne seraient pas des diagnostics définitifs, mais plutôt des points de vue divers que les gens pourraient explorer, sur lesquels ils pourraient continuer de réfléchir.
Je pense que nous devrions nous concentrer sur les diagnostics valides. Ils ne sont pas tous des maladies – par exemple, le TSPT (trouble de stress post-traumatique) est un diagnostic valide, mais ce n’est pas une maladie ; c’est une blessure. On pourrait également soutenir que la personnalité antisociale, et peut-être la personnalité borderline, sont valides et bien définies, mais ce ne sont pas des maladies au même titre que la schizophrénie ou les troubles bipolaires. Elles ne sont pas purement génétiques ; elles ont une grande part de composantes environnementales dans leur étiologie, particulièrement durant la petite enfance.
Donc, oui, je pense que nous devrions nous concentrer sur ces diagnostics valides, dont certains sont des maladies biologiques, et d’autres, causés psychologiquement. Ces douze diagnostics offriraient une base solide – et en réalité, je pense que la majorité des cliniciens traitent déjà ces douze diagnostics ou presque la plupart du temps. Les 200 autres étiquettes ne sont que des constructions sans fondement, qui mériteraient d’être abandonnées. Cela inclut, selon moi, le TDA (trouble du déficit de l’attention), que je ne considère pas comme un diagnostic valide, ni chez les adultes ni chez les enfants.
Je suis d’accord avec ça, et pourtant je prends du méthylphénidate pour un “TDAH”.
MARK RUFFALO: Oui, je suis d’accord. Je pense que la grande majorité des patients que nous voyons sont probablement traités pour un de ces 8, 12, 15 problèmes fondamentaux, parfois sans même réaliser que ce sont les véritables problèmes du patient. Cela m’amène à ma prochaine question sur la hiérarchie diagnostique, un sujet qui me frustre énormément. Je vois souvent des patients qui me sont adressés – parfois par des psychiatres – avec quatre, cinq ou six diagnostics différents. D’après ce que je comprends de l’histoire de la psychiatrie, cela est en grande partie un artefact du système de classification du DSM. Historiquement, l’idée était qu’un patient ne pouvait avoir qu’une seule maladie mentale, ou peut-être deux, mais cette idée qu’un patient puisse avoir cinq, six ou sept troubles mentaux différents est une idée vraiment nouvelle en psychiatrie, n’est-ce pas ?
Vous avez beaucoup écrit sur ce sujet ; pouvez-vous nous expliquer pourquoi, selon vous, une hiérarchie diagnostique en psychiatrie est importante, ce que cela signifie, et pouvez-vous nous donner un exemple d’erreur flagrante dans ce domaine ?
NASSIR GHAEMI: En médecine, l’approche traditionnelle est celle du diagnostic différentiel. Le patient se présente chez un médecin avec un certain nombre de symptômes : fièvre, frissons, sueurs nocturnes, et le médecin établit une liste de diagnostics différentiels des conditions susceptibles de provoquer ces symptômes : infections bactériennes, infections virales, autres causes. Ensuite, il passe en revue cette liste pour confirmer ou exclure les différentes hypothèses. Si la cause est connue, c’est la meilleure approche, mais souvent, on ne connait pas la cause des maladies.
Dans cette démarche, il y a des diagnostics valides qui causent de nombreux symptômes, et il est important de les exclure avant de diagnostiquer des affections plus petites qui causent moins de symptômes. Un médecin ne dira pas : « Vous avez un trouble de la fièvre, un trouble des frissons ou un trouble des sueurs nocturnes » lorsqu’un patient se présente avec une pneumonie. Mais en psychiatrie, nous disons : « Vous avez un TDA, un trouble anxieux généralisé (TAG) et un trouble dépressif majeur (TDM) » lorsqu’une personne se présente avec une cyclothymie.
La cyclothymie provoque les symptômes maniaques et dépressifs qui entraînent des troubles de l’attention, du sommeil, des baisses d’humeur et de l’anxiété. Au lieu de diagnostiquer la maladie qui cause ces symptômes, nous diagnostiquons les effets de chaque symptôme. Ensuite, nous donnons trois étiquettes au patient et lui disons : « Oh, pauvre de vous, vous avez trois troubles. » Puis, nous lui prescrivons un médicament pour chaque trouble, ce qui revient à donner un médicament pour chaque symptôme au lieu de traiter la cause sous-jacente avec un seul traitement. Cela conduit à des polydiagnostics, une polypharmacie, davantage de torts au patient, et cela ne se produit qu’en psychiatrie ; le reste de la médecine ne fonctionne pas ainsi.
Le Pr Ghaemi ne fait pas la différence entre les symptômes maniaques et hypomaniaques. Le DSM mentionne bien que la cyclothymie ne peut pas par définition s’accompagner de symptômes maniaques, mais le DSM n’a pas d’importance.
La raison, encore une fois, est le DSM. Dans le DSM-III et le DSM-IV, les dirigeants de ces groupes, adoptant une approche éclectique, postmoderne et relativiste, ont dit : « Nous ne savons pas ce qui cause quoi que ce soit, donc nous ne pouvons pas dire qu’il faut exclure ceci avant de diagnostiquer cela. » La seule exception qu’ils ont faite concernait la schizophrénie. Ils ont explicitement encouragé les cliniciens à poser autant de diagnostics que possible, simplement sur la base des symptômes listés.
Comme les symptômes sont listés de manière à se chevaucher, cela conduit à des diagnostics multiples. Par exemple, la moitié des symptômes du TAG sont les mêmes que ceux du TDM ; si vous posez un diagnostic, vous allez poser l’autre. Cela crée un faux problème de comorbidité, qui est débattu depuis des décennies.
MARK RUFFALO: Bien sûr, bien sûr. J’aimerais maintenant parler de troubles spécifiques et obtenir votre avis. Si vous voyez un patient en consultation et que vous essayez de déterminer s’il présente un tempérament cyclothymique ou un trouble de la personnalité borderline, pouvez-vous nous donner quelques astuces que vous utilisez vous-même pour faire cette distinction ? Il me semble qu’il existe un chevauchement significatif, et souvent des erreurs de diagnostic entre les pathologies borderline et les troubles de l’humeur. Cela fonctionne dans les deux sens. Pouvez-vous nous aider à clarifier cela ?
NASSIR GHAEMI: Oui, je pense qu’il est important de prendre un peu de recul et d’expliquer brièvement le concept de validité et les critères que nous utilisons à cet égard. Il ne suffit pas de regarder les symptômes, ce que fait la grande majorité du DSM. Nous savons en médecine qu’une même maladie peut provoquer des symptômes différents ou que des maladies différentes peuvent partager les mêmes symptômes. Par exemple, une douleur thoracique peut être causée par une pneumonie ou un infarctus. Un mal de tête peut être dû à une tumeur cérébrale ou à un problème endocrinien. Donc, on ne peut pas se fier uniquement aux symptômes pour poser un diagnostic.
En psychiatrie, le DSM fonctionne ainsi parce qu’il prétend être « athéorique », c’est-à-dire qu’il ne connaît pas les causes des troubles. En réalité, c’est une approche relativiste postmoderne : il ne cherche pas à connaître les causes de quoi que ce soit. La validité, en revanche, ne repose pas uniquement sur les symptômes ; elle doit inclure d’autres sources de preuves. En médecine, nous avons la pathologie comme examen de référence pour mettre en évidence les différentes causes: tests de laboratoire, imagerie, etc. En psychiatrie, nous n’avons généralement pas cela. Les deux autres sources de preuves, en plus des symptômes et de la pathologie, sont :
L’évolution de la maladie : Comment évolue-t-elle au fil du temps ? Quand a-t-elle commencé ? À quel âge ? Est-elle chronique ? S’améliore-t-elle ou non naturellement ?
La génétique : Pour les maladies qui sont génétiques, cela peut être utile, même si de nombreuses conditions ne le sont pas.
Ce sont donc les quatre validateurs : symptômes, génétique, évolution de la maladie et marqueurs biologiques (si disponibles).
Pour différencier la cyclothymie et la personnalité borderline, les symptômes ne suffiront pas, car ils se chevauchent. Nous observons une labilité de l’humeur dans les deux cas. Tout le monde débat de cela, mais c’est une perte de temps, et c’est une erreur du DSM qui fait vraiment défaut à la psychiatrie.
En termes de biologie, nous n’avons pas vraiment de tests pour cela, mais nous avons des indications sur l’évolution et la génétique. La cyclothymie est génétique ; elle fait partie de la maladie maniaco-dépressive, qui, selon les études sur les jumeaux, est presque entièrement génétique – 90 % de causes génétiques. La personnalité borderline n’est pas principalement génétique ; elle est environ à moitié génétique et à moitié environnementale - selon les études sur les jumeaux.
Si un patient a des antécédents familiaux de troubles bipolaires ou de dépression unipolaire sévère, il est beaucoup plus probable qu’il souffre de cyclothymie plutôt que d’un trouble de la personnalité borderline.
En ce qui concerne l’évolution de la maladie, les patients atteints de personnalité borderline ont des antécédents de traumatisme sexuel dans deux tiers des cas, selon les définitions du DSM (qui ne nécessitent pas de traumatisme sexuel). Si l’on regarde des définitions plus anciennes, ce chiffre est probablement encore plus élevé. Dans la cyclothymie et la maladie maniaco-dépressive, ce chiffre est de 20 %, ce qui correspond à la moyenne de la population. Ainsi, le traumatisme sexuel est trois fois plus fréquent voire plus dans les cas de personnalité borderline.
En termes d’automutilation, qui est à la fois un symptôme et une donnée historique, on l’observe chez deux tiers des patients borderline, mais presque jamais chez les patients cyclothymiques.
Donc, si un patient présente des antécédents de traumatisme sexuel ou d’automutilation, il est beaucoup plus probable qu’il souffre de personnalité borderline plutôt que de cyclothymie. La réponse est donc de laisser de côté les symptômes, de se concentrer sur l’évolution de la maladie et la génétique, et de différencier les deux sur ces bases.
Il est aussi possible d’avoir les 2. L’intéraction entre l’humeur et la personnalité est complexe et mérite un livre entier.
MARK RUFFALO: Merci, c’est très utile. Et pour terminer, vos commentaires sur le TDAH chez l’adulte. En fait, nos commentaires – j’ai écrit un article avec vous sur ce sujet – ont suscité beaucoup d’attention. Puisque nous nous adressons principalement à des psychothérapeutes ici, que pensez-vous qu’il est important pour eux de savoir sur ce trouble, le TDAH, et sur les tendances récentes à cet égard ? Il semble que presque un patient adulte sur deux que je vois actuellement arrive en disant : « J’ai un TDAH de l’adulte. Mon psychiatre m’a dit que j’en avais un, ou j’ai fait un test de dépistage en ligne de 10 minutes, et on m’a prescrit un stimulant. »
Qu’est-ce qui est important pour les psychothérapeutes en exercice de savoir sur ce qui se passe avec le TDAH chez l’adulte dans notre société aujourd’hui ?
Ne faites pas l’erreur de penser que nous n’arriverons pas à ces mêmes problèmes en France.
NASSIR GHAEMI: Je pense que l’intérêt pour ce diagnostic s’élargit parce que le DSM-5, en 2013, a élargi sa définition, et c’est exactement ce que souhaite la direction du DSM. Ils veulent essentiellement manipuler la société pour qu’elle adhère aux diagnostics psychiatriques tels qu’ils les conçoivent. Ils élargissent le diagnostic, et les gens y croient. C’est un véritable phénomène de pensée grégaire.
Le problème avec le TDAH chez l’adulte, c’est qu’il prend un symptôme ou un ensemble de symptômes – dysfonctionnement exécutif et troubles de l’attention – et en fait un diagnostic. Or, ces dysfonctionnements exécutifs et troubles de l’attention se retrouvent dans de nombreuses autres maladies ou diagnostics légitimes, comme les états dépressifs, maniaques, psychotiques, et même anxieux – tous affectent les fonctions exécutives et réduisent l’attention.
Si le TDAH chez l’adulte existait réellement, il faudrait démontrer qu’il se manifeste chez des personnes qui ne souffrent pas de ces autres troubles. Cela nous ramène au concept de hiérarchie diagnostique. Les recherches, comme celles de la National Comorbidity Survey, montrent que 80 % des personnes diagnostiquées avec un TDAH chez l’adulte ont également un trouble de l’humeur, et près de la moitié d’entre elles un trouble anxieux. Il est donc presque impossible de trouver des personnes correspondant à la définition de TDAH chez l’adulte qui n’ont pas de troubles de l’humeur ou d’anxiété.
Les experts en TDAH affirment souvent que le TDAH est à l’origine de la dépression et de l’anxiété - ils inverse la causalité - mais ils n’ont aucune preuve pour étayer cette hypothèse ; c’est simplement leur croyance. Environ la moitié des patients diagnostiqués présentent des symptômes maniaques. Comment le TDAH pourrait-il causer la manie ? Personne ne pourrait raisonnablement dire ça.
Les études prospectives sur le TDAH chez l’adulte suggèrent que ces patients sont des enfants qui en souffrent et continuent à l’avoir à l’âge adulte, touchant environ 3 % de la population. Mais ces études montrent également que la majorité de ces adultes (environ 80 %) n’avaient pas de TDAH dans leur enfance. Donc, ce n’est pas un TDAH chez l’adulte s’ils sont distraits ou présentent un mauvais fonctionnement exécutif à l’âge adulte, car ils ne l’avaient pas dans leur enfance.
Si l’on considère l’évolution de la maladie comme un validateur, cela invalide le diagnostic. Les symptômes ne le valident pas, il n’existe aucun marqueur biologique qui le distingue d’autres conditions. Les études génétiques (comme les GWAS) montrent un énorme chevauchement avec des troubles comme l’épisode dépressif caractérisé et la bipolarité, sans spécificité pour le TDAH. Rien ne valide ce diagnostic lorsque l’on examine les validateurs externes.
Je pense que les psychiatres aiment poser ce diagnostic parce qu’ils aiment prescrire des amphétamines. Les amphétamines améliorent immédiatement l’attention ; tout le monde est content, les patients apprécient, les cliniciens sont payés. Mais on ne dit pas aux patients – et souvent les cliniciens ne le savent pas – que les amphétamines sont neurotoxiques : elles détruisent les neurones dans les études animales et n’ont pas été démontrées comme sûres chez les humains. Elles sont encore utilisées parce qu’elles ont été mises sur le marché avant que la FDA ne commence à réglementer les médicaments pour leur sécurité et leur efficacité dans les années 1960.
Pour les psychothérapeutes, ce qui est pertinent, c’est que beaucoup de patients viendront vous voir en affirmant avoir un dysfonctionnement exécutif ou des troubles de l’attention. La culture, via le DSM-5, a facilité cette affirmation, ce qui conduit au diagnostic de TDAH chez l’adulte, et ces patients chercheront peut-être une référence ou un traitement pour cela. Mais la bonne chose à faire est de rechercher les 80-90 % de ces patients qui ont en réalité des troubles de l’humeur ou des états anxieux, et de diagnostiquer et traiter cela.
MARK RUFFALO: Très utile. Et enfin, ma dernière question porte sur la hiérarchie diagnostique. J’aimerais savoir, selon vous, où se situent les troubles de la personnalité dans cette hiérarchie diagnostique en psychiatrie. J’ai vu certaines personnes les placer tout en bas. Mon problème avec cela, personnellement, est que si vous prenez un patient présentant un trouble de la personnalité borderline tel que défini par le DSM-5, vous pouvez observer des troubles de l’humeur, voire pratiquement n’importe quel symptôme de l’Axe I dans les états borderline. Alors, pourquoi placer cela tout en bas de la hiérarchie alors que nous devrions envisager un trouble de la personnalité borderline chez un patient qui se présente avec une humeur dépressive, de l’anxiété, des psychoses transitoires, et d’autres symptômes similaires ? Donc, où placez-vous les troubles de la personnalité dans la hiérarchie diagnostique ?
NASSIR GHAEMI : Eh bien, le fait qu’un diagnostic soit placé au bas de la hiérarchie ne signifie pas qu’il est moins important. Cela signifie simplement qu’il faut exclure d’autres choses avant. Il peut être nécessaire de le faire pour diverses raisons. Comme je l’ai dit, la principale raison est que d’autres troubles peuvent avoir plus de symptômes et en capturer davantage. Mais cela peut également être dû au fait qu’ils sont traitables d’une manière différente.
Par exemple, vous dites que la personnalité borderline capture tous les symptômes, mais c’est aussi le cas de la maladie bipolaire. La maladie maniaco-dépressive, telle que définie, capture tous les symptômes en psychiatrie, donc elle devrait être exclue avant tout autre diagnostic. Si vous ne le faites pas, vous risquez de diagnostiquer à tort une personnalité borderline, surtout parce que nous savons déjà que, par le passé, les états de l’humeur peuvent imiter un état borderline, notamment en cas de dépression.
Des études ont montré que chez des patients diagnostiqués borderline et présentant un épisode dépressif caractérisé, après un an, la moitié des diagnostics de personnalité borderline disparaissent, car il ne s’agissait pas d’un trouble de la personnalité, mais simplement de la dépression.
Un autre point important concerne les tempéraments de l’humeur, comme la cyclothymie et l’hyperthymie, que la plupart des gens ne connaissent pas parce qu’ils ne figurent pas dans le DSM. Ces traits consistent à être constamment maniaque ou hyperactif, comme partie intégrante de la personnalité. Ce ne sont pas des états épisodiques ; ils sont présents en permanence et peuvent produire de l’anxiété et des troubles de l’attention, ce qui conduit à des diagnostics erronés de TDAH chez l’adulte, comme nous en avons parlé.
Ainsi, lorsqu’il s’agit de différencier ces troubles, il ne suffit pas d’exclure le trouble bipolaire en disant : « Ce n’est pas un trouble bipolaire, car le patient est comme ça tout le temps. » En réalité, avec les tempéraments liés à la maladie maniaco-dépressive, les patients sont effectivement comme cela tout le temps. Beaucoup de ces patients diagnostiqués avec un TDAH ont en fait une cyclothymie.
C’est la même chose avec le TAG (trouble anxieux généralisé) ou les patients borderline : leur humeur fluctue constamment, ce qui est cyclothymique. Leurs relations instables peuvent aussi être cyclothymiques, etc. Ce qui les différencie, ce sont des caractéristiques de l’évolution de la maladie, comme les antécédents de traumatisme sexuel dans l’enfance ou l’automutilation, qui sont beaucoup plus fréquents dans les troubles de la personnalité borderline. Les états dissociatifs sont également différents entre ces troubles.
Donc, vous devez exclure la cyclothymie, l’hyperthymie, et la maladie maniaco-dépressive avant même de commencer à parler de trouble de la personnalité borderline. Mais une fois cela fait, si le patient n’a pas les caractéristiques génétiques, mais présente de l’automutilation et d’autres traits plus typiques de la personnalité borderline, alors ce diagnostic peut être envisagé.
En ce qui concerne les troubles de la personnalité en général, je dirais que le concept même n’est pas valide. Cela fait 40 ans qu’il est accepté, donc il semble normal de l’accepter, mais il faut se rappeler que personne ne pensait à ce concept avant le DSM-III en 1980.
Le terme de « troubles de la personnalité » a été inventé pour créer un endroit dans le DSM permettant aux psychanalystes de continuer à pratiquer. C’est la raison pour laquelle l’axe II a été inventé. Pendant le processus d’approbation du DSM-III par l’American Psychiatric Association, il y a eu une forte résistance de la part des psychanalystes, qui avaient beaucoup d’influence à l’époque, et ils n’auraient pas adopté le DSM-III sans une section leur permettant de se faire rembourser pour les thérapies psychanalytiques, qui étaient bien remboursées à l’époque.
Le DSM était avant organisé en axes, avec dans l’axe 1 les troubles “classiques”, et dans l’axe 2 les troubles de personnalité, pour 5 axes différents au total.
Le concept de personnalité borderline existait auparavant, tout comme celui de personnalité antisociale, mais aucun des autres troubles de la personnalité n’existait. Des termes comme narcissique, dépendant, évitant ou schizoïde étaient utilisés, mais ils ne désignaient pas des troubles de la personnalité.
Je dirais donc que ce n’est pas seulement une question de hiérarchie, mais que le concept lui-même n’est ni prouvé ni valide. D’ailleurs, le groupe de travail sur les troubles de la personnalité du DSM-5 voulait supprimer tous les troubles de la personnalité, car la plupart d’entre eux avaient été réfutés, à l’exception de la personnalité borderline et antisociale. Ils ont été conservés uniquement grâce à une campagne de lettres menée par Jon Gunderson, fondateur du concept de personnalité borderline, et d’autres, qui ont convaincu les administrateurs de changer d’avis. Ce n’était donc pas une décision scientifique.
Je pense que le concept de troubles de la personnalité n’est pas scientifiquement solide, ce qui est une autre raison de ne pas le placer haut dans la hiérarchie lorsque vous utilisez un concept invalide.
La CIM-11 a d’ailleurs supprimé le concept tel qu’il est décrit dans le DSM 5, en ne gardant que la personnalité borderline.
MARK RUFFALO: Eh bien, Dr Ghaemi, cela a été extrêmement instructif ; une excellente leçon d’histoire pour nous et de précieux éclairages cliniques. Je vous remercie vraiment pour le temps que vous nous avez consacré dans ce podcast aujourd’hui : Nassir Ghaemi, du Tufts Medical Center, de l’Université Harvard, un expert mondial des troubles bipolaires, de la thérapie au lithium et de la philosophie de la psychiatrie. Merci beaucoup de vous être joint à nous, Dr Ghaemi; nous vous en sommes très reconnaissants.
NASSIR GHAEMI: Merci, Mark.
MARK RUFFALO: Consultez The Carlat Psychotherapy Report pour des informations précieuses sur la psychothérapie et le travail social. Vous pouvez y accéder en ligne et vous inscrire aux alertes par e-mail pour rester informé des nouvelles publications. Les abonnés peuvent obtenir des crédits de formation médicale continue (CME) et un accès complet au site web. N’oubliez pas d’explorer nos podcasts pour gagner des crédits CME – cliquez simplement sur ce lien.
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"le TDA (trouble du déficit de l’attention), que je ne considère pas comme un diagnostic valide, ni chez les adultes ni chez les enfants.
Je suis d’accord avec ça, et pourtant je prends du méthylphénidate pour un “TDAH”."
Suite à cet extrait ci dessus du Carlat Podcast, si le TDA n'est pas un diagnostic valide , pouvez nous dire quelles sont pour vous les indications pour prescrire du méthylphénidate? et pourquoi par exemple à titre personnel en prenez vous ?
Une personne cyclothymique peut présenter un TOC durant un état dépressif et ne plus présenter ce même trouble une fois la dépression passée.
Parfois l’évolution du TOC est pseudo-périodique dans le sens où il existe un événement récurrent qui déclenche le TOC.
Concernant les intrications entre TOC et hyperthymie, cette dernière contrecarre le TOC mais pas les phobies avec comportement d’évitement qui sont fréquemment associées au tempérament hyperthymique.