Traduction du Podcast du Carlat Psychiatry Report, disponible ici.
Les phrases en italique ont été rajoutées par moi et ne reflètent pas forcément les opinions des auteurs du podcast.
Comment traiter le TDAH dans le trouble bipolaire sans déstabiliser l'humeur, partie 1: stimulants et non-stimulants.
KELLIE NEWSOME: Est-il dangereux de prescrire un stimulant dans le cadre d’un trouble bipolaire tant que le patient est sous stabilisateur de l’humeur ? Ou existe-t-il une meilleure façon de traiter le TDAH dans ces cas ? Aujourd’hui, nous vous montrons comment traiter la co-occurrence complexe entre le TDAH et le trouble bipolaire.
CHRIS AIKEN : Bienvenue au podcast du Carlat Psychiatry, garant d’une psychiatrie honnête depuis 2003. Je suis Chris Aiken, rédacteur en chef du Carlat Report.
KELLIE NEWSOME : Et je suis Kellie Newsome, infirmière en psychiatrie et lectrice assidue de chaque numéro.
Les problèmes cognitifs sont une plainte fréquente dans le trouble bipolaire, et la semaine dernière, nous avons présenté un plan diagnostique pour ces symptômes, qui peuvent être causés par :
Des symptômes thymiques non traités
Un tempérament distrait, comme dans le trouble cyclothymique
Des déficits cognitifs qui s’accumulent avec des épisodes répétés de troubles de l’humeur
Ou une véritable comorbidité de TDAH
Ce à quoi je rajouterais, des troubles de l’usage de substances à des neurotoxiques comme l’alcool, le cannabis, des traumatismes crâniens, la présence d’autres maladies agressives sur le plan cognitif comme l’obésité, des apnées du sommeil… La liste est très longue.
Un TDAH authentique commence avant l’âge de 12 ans, se manifeste indépendamment des épisodes d’humeur et s’améliore parfois à l’âge adulte. Les recherches sur le traitement du TDAH dans le trouble bipolaire sont rares. Nous allons donc nous appuyer sur l’expérience clinique pour esquisser une approche thérapeutique, en commençant par examiner les stimulants dans le cadre du trouble bipolaire.
CHRIS AIKEN: Les stimulants sont le traitement de première intention pour le TDAH pur, mais ils comportent plusieurs risques préoccupants dans le trouble bipolaire : manie, psychose, insomnie, neurotoxicité et le risque de développer une addiction. Les stimulants augmentent de 7 fois le risque de manie lorsqu’ils sont pris sans stabilisateur de l’humeur (Viktorin A et al., Am J Psychiatry 2017, 174:341-348). Ce risque devient négligeable lorsqu’un stabilisateur de l’humeur anti-maniaque est utilisé (la lamotrigine ne compte donc pas ici), mais les stabilisateurs de l’humeur ne protègent pas contre une aggravation symptomatique plus légère.
Ainsi, même si un patient n’est pas en pleine manie, cela ne signifie pas que tout va bien ; il peut par exemple ressentir de l’irritabilité, de l’anxiété ou de l’agitation à cause du stimulant. Environ 1 patient sur 7 atteint de trouble bipolaire et de TDAH a présenté une aggravation de l’humeur, de l’irritabilité ou de l’anxiété sous stimulants, même en présence de stabilisateurs de l’humeur, selon les résultats de 6 petites études cliniques.
Je le répète : même avec un stabilisateur de l’humeur, environ 1 patient sur 7 peut ne pas déclencher un épisode maniaque mais ressentir une certaine aggravation de l’humeur.
Ces risques semblent un peu moins marqués avec le méthylphénidate qu’avec les amphétamines (par exemple, Adderall, Dexedrine, Vyvanse). Notez que nous n’avons pas accès aux amphétamines en France.
L’amphétamine a été utilisée comme modèle animal de la manie depuis les années 1970, et elle est deux fois plus susceptible de déclencher une psychose que le méthylphénidate (Moran LV et al., N Engl J Med 2019, 380:1128-1138). Ce risque augmente avec la dose, ce qui signifie que nous parlons d’un risque sérieux pour les amphétamines, à la fois dans les modèles animaux et chez les humains, et il est dose-dépendant.
Voici comment nous le savons : dans une étude récente sur des patients hospitalisés, ceux qui prenaient de l’amphétamine (en prescription) étaient 3 fois plus susceptibles de présenter une manie ou une psychose, et ce risque était 5 fois plus élevé si la dose dépassait 30 mg par jour de dextroamphétamine (équivalent à 35 mg d’Adderall ou 80 mg de Vyvanse). En comparaison, le méthylphénidate est un peu plus sûr dans le trouble bipolaire, mais pas totalement. Il est encore utilisé comme modèle animal pour la manie, mais moins souvent que les amphétamines. Le méthylphénidate n’a pas révélé de risque dans cette récente étude hospitalière, et ce stimulant était autrefois considéré comme pouvant traiter la manie en stabilisant l’excitation mentale. Sur cette base, ils ont même testé le méthylphénidate contre un placebo comme traitement de la manie en 2018. L’étude n’a duré que 3 jours et n’a pas permis d’améliorer la manie, mais au moins, le stimulant n’a pas aggravé la manie (Hegerl U et al., Eur Neuropsychopharmacol 2018;28(1):185-194). Le méthylphénidate présente également un potentiel d’abus moindre, si on regarde ses propriétés renforçantes dans des études précliniques et des modèles animaux.
Pour ma part, je n’ai plus besoin d’études pour considérer ce risque. Je ne compte plus le nombre de patients qui étaient de plus en plus mixtes avec du méthylphénidate.
KELLIE NEWSOME: Avec les stimulants, nous ne nous inquiétons pas seulement de l’addiction, de la psychose et de la manie. Nous nous préoccupons également de la neurotoxicité, en particulier avec des doses élevées et surtout avec les amphétamines. Comme vous pouvez l’imaginer, la neurotoxicité entraîne des problèmes cognitifs, et cela est bien documenté dans les études animales sur les stimulants, en particulier les amphétamines, qui peuvent épuiser les réserves vésiculaires de dopamine (le méthylphénidate n’a pas cet effet) (Moratalla R et al., Prog Neurobiol 2017;155:149-170). Bien que les études humaines fassent défaut, le problème semble être limité aux gammes doses élevées (équivalentes à 140-700 mg/jour d’amphétamine). Contrairement à l’amphétamine, le méthylphénidate a des effets neuroprotecteurs qui pourraient atténuer toute neurotoxicité liée à ce médicament (Wiguna T et al., Clin Neuropharmacol 2012;35(2):81-85).
Attention, l’étude citée est sur des enfants, avec 20 mg de méthylphénidate seulement, pendant 12 semaines, et une définition de “neurotoxicité” qui se discute. Le manque de sommeil induit par du méthylphénidate par exemple peut tout à fait rendre la molécule neurotoxique; et c’est aussi vrai pour les patients qui se retrouvent un état mixte.
Tous les médicaments comportent des risques, mais les stimulants apportent ils un bénéfice quelconque pour le TDAH associé au trouble bipolaire ?
CHRIS AIKEN: C’est une question importante. On ne peut pas supposer, simplement parce que ce sont des stimulants, qu’ils vont réellement améliorer les fonctions cognitives. Par exemple, les stimulants ont été étudiés pour la cognition dans la schizophrénie, et ils ne l’ont pas améliorée. Ils ont aggravé la psychose comme effet secondaire, et ici, nous parlons de risques comme la manie, la psychose et la neurotoxicité.
Donc, il vaut mieux qu’il y ait des bénéfices sérieux pour justifier leur utilisation. Si je prends 5 minutes de pause, je me dis que ce podcast est un peu absurde. Si nous étions oncologues, parlerions-nous de l’utilisation d’un agent pro-cancéreux pour traiter le cancer ? Absolument pas.
Et bien en fait, si. Il y a un exemple les cellules CAR-T.
Ici, nous discutons de l’opportunité d’utiliser un médicament qui est le modèle animal de la manie pour traiter le trouble bipolaire. Je ne sais pas comment nous en sommes arrivés là, mais c’est fait tellement souvent que je vais prendre la question au sérieux et continuer. Alors, les stimulants aident-ils, du moins symptomatiquement, lorsqu’ils sont administrés à des personnes souffrant de trouble bipolaire et de symptômes de TDAH ?
Intuitivement, on pourrait penser que oui, mais les études ne sont pas très solides. Nous n’avons que trois essais contrôlés par placebo, dont deux étaient positifs. Ces études, menées chez des enfants, sont limitées en taille (n total = 63), en durée (2 semaines) et en conception (crossover au lieu de groupes parallèles). Au lieu d’utiliser un essai randomisé contrôlé avec deux groupes, ils ont utilisé un design crossover, où les mêmes patients ont changé de traitement.
Permettez-moi de dire que si nous avions ce type de données sur un supplément naturel, les psychiatres riraient. Ils ne le considéreraient même pas comme un traitement possible. Mais ici, c’est le genre de données que nous avons pour les stimulants, le TDAH et le trouble bipolaire, et ils sont largement prescrits et approuvés. Donc, les stimulants… et bien, nous ne savons pas vraiment s’ils fonctionnent.
Et nous n’avons que très peu de données sur le long terme.
Qu’en est-il des options non stimulantes ? Eh bien, elles sont en grande partie non étudiées pour le trouble bipolaire avec TDAH, et certaines pourraient même poser des risques plus importants parce qu’elles ont des structures ressemblant à des antidépresseurs, comme l’atomoxétine et ce nouveau médicament, Qelbree.
Qelbree = Viloxazine, qui était disponible en France, et qui ne l’est plus.
Cependant, certaines d’entre elles ont en réalité moins de risques dans le trouble bipolaire, et nous pourrions nous sentir plus en sécurité en les utilisant. Passons en revue certaines de ces options.
KELLIE NEWSOME: Faisons une pause pour un aperçu du quiz CME de cet épisode.
Quel médicament dispose de données pour traiter à la fois le TDAH et la manie ?
A. Méthylphénidate
B. Lamotrigine
C. Viloxazine
D. Clonidine
Les stimulants comportent certains risques. J’entends par là que si quelque chose est utilisé comme modèle animal pour une maladie, nous ne devrions probablement pas l'utiliser pour traiter cette même maladie. Si vous choisissez la voie des stimulants, essayez de vous en tenir au méthylphénidate et gardez les doses faibles, comme moins de 30 mg par jour d’Adderall, moins de 25 mg par jour de dextroamphétamine, et moins de 45 mg par jour de méthylphénidate. Maintenant, examinons quelques options non stimulantes.
CHRIS AIKEN: Mes choix préférés pour le TDAH dans le trouble bipolaire sont les médicaments non stimulants : les agonistes alpha (clonidine (Kapvay) et guanfacine (Intuniv)) et les modafinils (armodafinil (Nuvigil) et modafinil (Provigil)). Passons-les en revue un par un.
Avant que vous ne lisiez la suite:
Nous ne disposons pas de guanfacine en France. La clonidine n’est disponible que sous forme de libération immédiate; le Dr Aiken fait ici référence à la forme sous libération prolongée. L’armondafinil n’est pas disponible en France. Le modafinil ne peut pas être prescrit par un psychiatre en France. Voilà voilà..
Les agonistes alpha sont approuvés par la FDA pour le TDAH pédiatrique et améliorent les fonctions exécutives dans diverses populations, pas seulement dans le TDAH mais compris dans la schizophrénie, les troubles liés à l'usage de substances et le TDAH (Arnsten AFT, Neurobiol Learn Mem 2020;176:107327). Donc, c'est plutôt prometteur. Commençons d’abord par le modafinil.
Le modafinil n’est en réalité pas approuvé pour le TDAH, mais il était proche de l'approbation de la FDA. Pourquoi ne l'a-t-il pas été ? Eh bien, un enfant a développé un syndrome de Stevens-Johnson sous ce médicament. C'est un risque réel mais très rare avec les modafinils. Le Congrès s’est même impliqué dans cette décision, estimant qu’il n’était pas acceptable d’exposer un grand nombre d’enfants américains aux modafinils et à ce risque pour traiter des problèmes scolaires et le TDAH.
C’est un bon exemple d’irruption de la politique dans la science, et de comment le bien commun peu nuire à la prise en charge de l’invididuel.
Comparés aux stimulants, ces deux classes de médicaments – les agonistes alpha et les modafinils – sont un peu moins efficaces, avec des tailles d’effet plus petites pour le TDAH. Mais chacun de ces médicaments présente des avantages pour le trouble bipolaire, offrant ainsi un double bénéfice.
Les modafinils améliorent la dépression bipolaire dans certaines études, mais pas toutes. Pourquoi ne fonctionnent-ils pas complètement ? À mon avis, c'est parce qu'ils n'améliorent que quelques symptômes, comme l'énergie, la vigilance et l'attention, plutôt que l'épisode dépressif complet.
Les agonistes alpha, en particulier la clonidine, améliorent des symptômes pertinents pour le trouble bipolaire, comme le sommeil, l'irritabilité et l'anxiété, dans de nombreuses populations. Ils ont également amélioré la manie bipolaire dans quelques petits essais contrôlés. La clonidine présente donc des avantages particuliers pour la manie bipolaire, tandis que les modafinils pourraient être bénéfiques pour la dépression bipolaire.
Un autre avantage de ces non-stimulants est qu’aucun d’entre eux n’est neurotoxique. Et pourquoi j’insiste autant sur la neurotoxicité ? Parce que c’est le véritable problème dans le trouble bipolaire. Les problèmes cognitifs qui s'accumulent avec le temps sont liés aux changements neurotoxiques dans le cerveau avec la chronicité de la maladie, et c'est ce que je veux éviter chez les personnes atteintes de trouble bipolaire.
Contrairement aux amphétamines, les modafinils pourraient même avoir des effets neuroprotecteurs. Ils augmentent la plasticité synaptique dans l’hippocampe dans certaines études (Yan YD et al., Transl Psychiatry 2021;11(1):116). Mais ces médicaments peuvent-ils causer la manie ? Eh bien, il existe quelques rapports de cas pour les modafinils, donc c'est possible. Ils ont également traité la manie dans certains cas, ce qui correspond à mon expérience (Hardy-Bayle MC, Encephale 1989;15(6):523-526 ; Schoenknecht P et al., Biol Psychiatry 2010;67(11):e55-e57). On parle ici de la clonidine.
Je considère que les modafinils régulent le rythme circadien. Ils aident les patients à se lever, à être alertes à des heures régulières chaque jour et à réguler leur cycle veille-sommeil, ce qui aide pour le trouble bipolaire. Cependant, s'ils causent de l'insomnie, ils peuvent provoquer une manie indirectement.
Les agonistes alpha, comme la clonidine et la guanfacine, ne sont pas connus pour causer ou aggraver la manie. Même dans les essais cliniques sur le trouble bipolaire, ils n’ont pas eu cet effet. Comme je l’ai dit, la clonidine a récemment potentialisé les stabilisateurs de l’humeur dans un essai contrôlé contre placebo chez des patients hospitalisés pour manie.
En résumé, mes traitements de premier choix pour le trouble bipolaire et le TDAH sont les modafinils (je préfère l’armodafinil pour ses niveaux sanguins plus réguliers et sa durée d’action plus longue) ou les agonistes alpha (je préfère la clonidine en raison de ses études sur la manie et l’anxiété).
Je prends pour ma part du concerta 54 mg par jour. La question m’est souvent posée.
Et maintenant, voici l’un des essais les plus surprenants que j’ai jamais vus en psychiatrie. Fait étrange: le lithium a en fait fait l’objet d’une étude contrôlée sur le TDAH chez l’adulte, où il s’est montré aussi efficace que le méthylphénidate (40 mg/jour) dans cet essai comparatif. Qui prescrit du lithium pour ca? Mais ça a quand même montré des bénéfices. Dans cet essai, les deux médicaments étaient équivalents pour les symptômes du TDAH, les symptômes de l’humeur et l’irritabilité, avec des niveaux de lithium maintenus entre 0,5 et 0,7.
Je ne sais pas pourquoi cette étude n’a pas eu de suite. Elle a été réalisée il y a environ 20 ou 30 ans. Mais le lithium a des effets larges et pourrait aider pour les symptômes du TDAH, ce qui est particulièrement intéressant à savoir pour une personne atteinte de trouble bipolaire.
L’étude est ici pour ceux qui sont intéressés: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12154153/
J’y pense chaque fois que j’entends quelqu’un dire “je suis TDAH pas bipolaire”. Quand je vous dis(“y que nos diagnostics ne valent pas grand chose.
Voici autre chose que vous devez savoir sur le lithium : il inverse la neurotoxicité observée dans les modèles animaux d’amphétamines (Dorrego MF et al., J Neuropsychiatry Clin Neurosci 2002, 14:289-295). C'est bon à savoir.
Nous avons d’autres options pour le TDAH et le trouble bipolaire, notamment l’atomoxétine et la viloxazine (que nous ne recommandons pas vraiment) et certains suppléments (compléments alimentaires, vitamines etc..) qui aident dans les deux conditions.
KELLIE NEWSOME: Récapitulons. Environ 10 à 20 % des patients atteints de trouble bipolaire présentent un TDAH authentique. Pour traiter cette comorbidité, commencez par stabiliser l’humeur. Les agonistes alpha et les modafinils sont de bonnes options pour débuter, tandis que les stimulants présentent des risques dans le trouble bipolaire, en particulier les amphétamines.
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Dans l'article, il est fait référence à la clonidine pour le traitement du tdah.Pourquoi est-elle peu connue et utilisée en France? En quoi l'efficacité et la tolérance sont-elles meilleures en LP? Comment expliquer sa non-disponibilité sous cette forme dans notre pays?
Une fois mon humeur stabilisée je dois passer des tests neuropsys d’après ma psy … lire ceci est déprimant