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Il a eu un attentat au couteau à Mulhouse:
Bien bien bien.
Je ne suis pas vieux, mais je suis suffisamment âgé pour savoir que on parle de “profil schizophrène” dans les médias, on n’a pas la moindre idée de ce qu’on raconte.
Ce qui va suivre n’a donc aucun lien avec l’évènement en question.
Par contre, chaque fois qu’on entend parler de violence et de psychiatrie - et je dis bien psychiatrie et pas santé mentale, on voit des discours avec lesquels je ne suis pas trop d’accord.
Exemple avec un post LinkedIn sur le sujet fait par un confrère psychiatre:
« Les préjugés sont la raison des sots » Voltaire
🔹 Il est grand temps de mettre un terme à l’association erronée et stigmatisante entre la schizophrénie et la dangerosité. Chaque fois qu’un incident tragique se produit, les médias s’empressent de relier la maladie mentale à la violence, renforçant ainsi des stéréotypes nuisibles qui affectent des millions de personnes vivant avec ce trouble.
❌ La réalité des faits : la majorité des personnes atteintes de schizophrénie ne sont pas violentes.
❌ Les personnes atteintes de schizophrénie sont souvent plus susceptibles d’être victimes de violence que de l’exercer.
➡️ Les conséquences de cette stigmatisation : cette perception biaisée engendre non seulement une peur injustifiée, mais aussi une marginalisation accrue des personnes vivant avec la schizophrénie.
➡️ Les préjugés alimentés par les médias créent un environnement où ces individus sont souvent isolés, discriminés et empêchés d’accéder aux soins appropriés.
❌ La maladie mentale est complexe et ne peut pas être réduite à une simple association avec la violence.
✅ En tant que société, nous devons nous engager à changer ce récit, à promouvoir des discussions basées sur des faits et à soutenir ceux qui vivent avec cette condition plutôt que de les stigmatiser davantage
Je vais donner quelques éléments factuels et je commenterai après.
1) Association entre les troubles du spectre de la schizophrénie et la perpétration de violences chez les adultes et les adolescents de 15 pays : une revue systématique et une méta-analyse
Résultats : La méta-analyse a inclus 24 études sur les résultats liés à la perpétration de violences dans 15 pays au cours de 4 décennies (N = 51 309 individus atteints de troubles du spectre de la schizophrénie ; âge moyen rapporté entre 21 et 54 ans lors du suivi ; parmi les études qui ont rapporté les résultats selon le sexe, il y avait 19 976 hommes et 14 275 femmes).
Une augmentation du risque de perpétration de violences a été observée chez les hommes atteints de schizophrénie et d'autres psychoses (odds ratio [OR] combiné, 4,5 ; IC à 95 %, 3,6-5,6) avec une hétérogénéité substantielle. Le risque était également élevé chez les femmes (OR combiné, 10,2 ; IC à 95 %, 7,1-14,6), avec une hétérogénéité importante.
On parle donc ici de 4,5 fois plus de risque de violence chez les hommes et 10,2 fois plus de risques chez les femmes quand les patients sont atteints de troubles du spectre de la schizophrénie.
Les probabilités de commettre des infractions sexuelles (OR, 5,1 ; IC à 95 %, 3,8-6,8) et des homicides (OR, 17,7 ; IC à 95 %, 13,9-22,6) ont également été examinées.
17 fois plus de risque d’homicide. 17. Quand l’association est aussi forte, on a de quoi se poser des questions. Pour comparaison, les femmes atteintes des mutations génétiques BRCA1 et BRCA2 on 5 à 20 fois plus de risque d’être atteintes d’un cancer du sein.
Trois études ont révélé un risque relatif accru d'incendies criminels, mais les données n'ont pas été regroupées pour cette analyse en raison de l'hétérogénéité des résultats.
Les risques absolus de perpétration de violences dans les études basées sur les registres étaient inférieurs à 1 sur 20 chez les femmes atteintes de troubles du spectre de la schizophrénie et inférieurs à 1 sur 4 chez les hommes sur une période de 35 ans.
On peut aussi regarder la même chose pour les patients atteints de troubles bipolaires - avec une méta analyse sur le sujet disponible ici, qui encore une fois apporte un peu de nuance.
2) L’effet Penrose: moins vous avez de lits d’hospitalisation psychiatriques, plus vous avez de patients en prison.
Vous pouvez voir des études sur le sujet ici, ici, avec évidement des nuances, comme vous pourrez le lire ici par exemple.
Evidemment, ça n’est qu’une association entre deux variables, il est impossible de trouver un lien de cause à effet. Corrélation n’est pas causation.
Ca marche aussi dans des pays d’Amérique du Sud:
3) Risque absolu et relatif de victimisation violente et de perpétration de violences après l'apparition d'une maladie mentale : une étude danoise basée sur les registres
On s’attaque ici à la question d’être auteur versus le fait d’être victime de violence. A la différence de la première étude, ce ne sont pas que des patients atteins de troubles psychotiques, ça concerne tous les diagnostics psychiatriques:
Maintenant, on peut regarder le risque d’être l’auteur d’un crime violent, avec les mêmes groupes:
Il suffit maintenant de regarder la différence entre l’incidence d’être victime et celle d’être auteur de violence. Pour les hommes, par exemple, la différence est loin d’être majeure, on est autour de 8 dans les deux cas.
Je précise encore une fois que tout le monde se contre fiche du risque moyen pour tous les diagnostics. Les patients atteints d’un trouble anxieux “pur” simple ne sont très certainement pas plus concernés par la violence. Mais si vous stratifiez par diagnostic et par âge - vous trouvez d’autres résultats.
Je vous mets la discussion traduite:
Un schéma complexe d'associations a été mis en évidence. Bien que les deux types d'expériences violentes soient survenus plus fréquemment chez les personnes atteintes de maladie mentale, le fait que le risque de l'une soit supérieur à celui de l'autre dépendait de plusieurs facteurs, notamment le sexe et le diagnostic.
Aucun schéma cohérent n'a montré que les personnes atteintes de maladie mentale étaient plus susceptibles d'être victimes de violences que d'en perpétrer, sauf en ce qui concerne les risques absolus observés chez les femmes après l'apparition de la maladie. Les hommes et les femmes diagnostiqués avec des troubles de la personnalité, des troubles liés à l'usage de substances et des troubles du spectre de la schizophrénie présentaient les risques les plus élevés de victimisation et de perpétration de violences.
Bien que la majorité des jeunes adultes atteints de maladie mentale n’aient été ni victimes ni auteurs de violences, même jusqu’à cinq ans après l’apparition de la maladie, les risques associés à ces issues graves restent significatifs.
4) People with severe mental illness as the perpetrators and victims of violence: time for a new public health approach
Je vous mets les passages qui me semblent importants:
Les personnes atteintes de maladie mentale sont bien plus souvent victimes de violence que leurs auteurs. Cependant, les individus souffrant de certains types de troubles mentaux présentent un risque accru de comportement violent par rapport au reste de la population, un constat qui demeure inconfortable pour de nombreux professionnels du secteur de la santé mentale.
Bien qu'il existe peu de preuves suggérant que les personnes atteintes de maladies mentales en général (notamment celles diagnostiquées avec une dépression ou des troubles anxieux) présentent un risque accru de perpétrer des actes violents par rapport à la population générale, des taux plus élevés de violences ont été observés chez les personnes souffrant de certains troubles mentaux graves, notamment la schizophrénie et les troubles bipolaires. Ces taux restent modérément plus élevés que dans la population générale, avec une précision essentielle : les individus présentant une "triple morbidité" (c’est-à-dire une maladie mentale grave associée à un trouble lié à l'usage de substances et à un trouble de la personnalité antisociale) ont un risque de violence nettement supérieur à ceux souffrant uniquement de troubles mentaux graves.
Évaluer l'ampleur de ces violences est essentiel. Les auteurs ont calculé que 5,3 % de tous les incidents violents survenus en Angleterre et au Pays de Galles en 2015-2016 étaient le fait de personnes atteintes de troubles mentaux graves. Bien que cela constitue un enjeu notable pour la sécurité publique, il est important de souligner que ces actes ne représentent qu'une petite proportion du total des actes violents perpétrés dans la population générale.
En ce qui concerne les homicides, souvent mis en avant par les médias comme une source majeure d'inquiétude, ceux commis par des personnes souffrant de psychose restent extrêmement rares. En effet, ces homicides n’ont pas été inclus dans les Enquêtes mondiales sur les homicides des Nations Unies, et leur nombre semble avoir diminué au cours des 50 dernières années. Senior et ses collègues ont constaté que 31 homicides avaient été commis par des personnes atteintes de troubles mentaux graves en Angleterre et au Pays de Galles pendant la période d’étude. Ce résultat est cohérent avec les données rapportées par Taylor et Gunn il y a deux décennies, qui avaient relevé une moyenne annuelle de 36 homicides entre 1957 et 1995.
5) Mes remarques et conclusion:
Je me contrefiche éperdument des avis diagnostics faits par les médias - ou fait par des gens qui n’ont pas suivi le patient et qui sont rapportés dans les médias.
Je me contrefiche éperdument des gens qui sont incapables de voir la nuance, et qui pensent que de mettre en évidence les risques de violences d’un certain type de population risque de discriminer tous les autres. On n’adapte pas le discours pour les gens les plus idiots. C’est du nivèlement par le bas.
Les deux propositions sont à mon avis correctes. Les patients sont plus à risques d’être victime de violence, et sont plus à risque d’être auteurs de violences. Le risque relatif - comparatifs - de ces deux risques n’a pas d’importance; les deux doivent être pris en compte.
Il va être difficile de mettre en évidence en lien de causalité. Mais pour moi, l’association suffit. Je n’ai pas besoin d’avoir de lien de cause à effet. Si je vois un patient avec un briquet, il est plus à risque d’avoir un cancer du poumon - même si le briquet en lui-même n’est pas le facteur causal.
Je suis encore une fois médecin. Je ne suis pas politicien. Je ne suis pas un soldat de la justice social.
Peut-être que c’est la psychiatrie qui rend ces patients plus dangereux. Ou les médicaments. Ou l’alcool. Ca ne change rien au fait que certains de ces patients sont parfois plus dangereux que la moyenne.
On ne cherche pas à désigner un coupable.
On perd la confiance du public à passer sous silence ces nuances au nom de la lutte contre la “discrimination”.
De mélanger des troubles et des patients qui n’ont rien à voir sous le terme parapluie de “troubles psychiatriques” nous fera trouver n’importe quoi.
Ca ne va pas s’arranger quand ou va regrouper d’autres choses encore sous le terme de “santé mentale”.
Il faut arrêter de donner des statistiques pour des groupes de patients énormes. “En moyenne les patient suivis en psychiatrie ne sont pas dangereux”.
C’est très intéressant.
J’en ai une autre: en moyenne, on n’a qu’une testicule.
Je suis toujours très étonné de voir à quel points les gens luttent contre les côtés “sombres” de la psychiatrie. Les prisons sont remplies de patients atteints de troubles psychiatriques. Si vous voulez suivre des patients atteints de schizophrénie sévère, dans certains pays il est plus simple d’aller dans le milieu carcéral, c’est là que vous les trouverez.
Excusez moi mais dans la moitié des cas on retrouve une agressivité chez les patients qui se présentaient aux urgences pour un épisode de manie ou de psychose aigue. On peut difficilement s’étonner d’une augmentation de violence chez ces patients.
On ne laisse pas quelqu’un de dément se trimballer en pyjama au milieu de la rue.
Mais on laisse quelqu’un de psychotique sans domicile fixe parler au mur.
Est-ce que c’est normal ?
Heureusement, ça n’est pas à moi de décider.
On peut tout à fait critiquer les données. Mais dans ce cas là, quand on parle du sujet, on présente les données, et on les critique ensuite. On ne passe juste pas sous silence ces éléments pour se concentrer sur “ils sont plus à risque d’être victimes de violences”.
Quand une femme a une mammographie positive, elle a plus de chance de ne pas avoir de cancer du sein que d’en avoir. Mais on fait quand même des mammographies; et ces femmes - une fois le test positif - ont plus de risque d’avoir un cancer du sein que la population générale.
Quand un patient a un trouble psychotique, il a plus de chance de ne pas commettre de violence que d’en commettre. Mais il a néanmoins plus de risque de ne commettre de violence que la population générale. On ne peut pas pas simplement ignorer ce risque.
C’est le moment de répondre au sondage de nouveau:
Je proposerai à l’auteur du commentaire cité de répondre à ce post. C’est du débat que sortent les idées les plus intéressantes.
Je suis bipolaire.
Et il n’y a pour moi rien de plus discriminant que de voir les gens passer sous silence des données.
Ceux qui veulent plus d’information en trouveront dans ce livre, c’est un bon début. C’est un début, j’insiste. Le sujet est compliqué.
N’oubliez pas de vous inscrire au Cortex, le nouveau congrès de psychiatrie sans lien d’intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques:
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Prenez soin de vous.
Et restez curieux.
La suite est ici.
je copie ici une réponse que j’ai écrite par ailleurs.
Tu noteras que je n’écris nulle part qu’il n’y a pas plus de violences chez les patients schizophrènes.
Car oui, concrètement il y en a plus.
Ces papiers sont peu attaquables et je les utilise dans mes cours.
Mon point de vue est
que le lien est au mieux indirect
Ok tu vas me dire que tu t’en fous. Que tu es médecin et peu importe que le mec qui te menace le couteau entre les dents, a des problèmes avec sa mère, vient de s’enfiler 5 rails de coke ou des voix qui lui disent de te planter ce couteau.
Tu revendiques le pragmatisme. Ok…
Moi aussi.
Je me fiche de la causalité et des tripatouillages statistiques, de l’œuf, de la poule…
Tu fais quoi pour prévenir la récidive ?
Tu traites sa schizophrénie ?
Bah non, tous les modèles de psychiatrie médico-légale démontrent que ça sert à rien…
Ce qui sert c’est de travailler sur les facteurs de risque: attitudes procriminelles, gestion de problèmes, stabilité communautaire etc. (cf Andrews & Bonta).
Un exemple: un schizo avec toxicomanie sort de prison. Libération a l’essai. Dans le secteur classique, on va essayer de gérer sa schizophrénie et espérer qu’il comprenne que la drogue, c’est mal.
En médico-légal, bah, la schizophrénie sera secondaire et, même si le gars a envie de continuer de prendre des toxiques, on va prioritairement avec l’aval du juge démarrer un programme de soins axé sur la prévention de la rechute toxico.
Parce que ça c’est un facteur essentiel de récidive.
Même si pour lui, ce n’est pas une priorité. Et des modèles existent. C’est mon boulot d’enseigner ces trucs à la fac.
Et je sais tu me diras qu’agir sur la schizophrénie agira sur la consommation de toxiques: cercle vertueux etc. Bah non ça suffit pas malheureusement. Faut agir sur le facteur central, pas sur les facteurs périphériques.
et ici nous serons d’accord: ce genre d’événements a des effets directs sur les sorties et décisions légales des patients qui, par malheur, ont ce diagnostic.
Et puis quand les psychiatres comprendront-ils la différence, qu’on apprend dans le médico-légal, entre agressivité, dangerosité, imprévisibilité etc.
Et aujourd’hui, aucun psychiatre n’est formé à l’évaluation correcte de la dangerosité.
Je maintiens que la question est conne ^^ un trouble mental c’est presque indéfinissable et la prévalence totale des « troubles mentaux » dans la population est (à mon avis) impossible à connaître … je serai pas étonné qu’en prenant l’intégralité des critères des différents troubles du DSM et en faisant passer des entretiens à l’ensemble de la population, on trouve une prévalence de 100%